Souvenirs, souvenirs, chantait Johnny Hallyday. Des souvenirs j’en ai… beaucoup car je ne suis pas né de la dernière pluie. Pour je ne sais quelle raison, ces souvenirs ont décidé de resurgir en ces journées de confinement, COVID-19 oblige, auxquelles je me plie sans trop rechigner. Ces souvenirs qui m’occupent l’esprit se présentent sous forme d’objets, d’outils ou d’autres façons qui au fil des ans ont perdu leur utilité ou leur raison d’être. Certains ont carrément disparu de la circulation. Ils me hantent et je vais tenter dans cet exercice de mémoire de les rappeler à mes bons et parfois mauvais souvenirs.
La manivelle : Oui, j’ai connu la manivelle. À plusieurs occasions je m’en suis même servi. Lorsque la voiture de mon grand-père, ou même celle de mon père, tombait en panne ou ne pouvait redémarrer, nous faisions appel à la manivelle. Quelques rotations de cet outil et un peu d’huile de coude suffisaient souvent à mettre en marche le moteur à explosion de la voiture. Il fallait faire attention car la manivelle pouvait, parfois, se retourner contre vous d’où l’expression figurative « retour de manivelle » qu’on pourrait remplacer en la modernisant par « recul de canon » car si les manivelles se sont volatilisées, les canons par contre, n’ont pas été mis au rancart.
Les cataplasmes : Un remède à base de moutarde ou autres plantes, à mi-chemin entre la compresse et l’emplâtre, qu’utilisait ma grand-mère, parfois même ma mère, lorsqu’elle me soignait pour une grippe ou une toux. Enfant je détestais les cataplasmes. Leur odeur m’était insupportable, répugnante même. Mais je les préférais aux ventouses, autre curiosité et type de médecine en usage durant ma jeunesse. Et que dire du suppositoire ? J’avoue ne pas souffrir de leur disparition.
Les buvards : Ah ! Les buvards, ces braves et chers buvards, objets assoiffés d’encre, amis et gardiens de la propreté et de la netteté. Papiers poreux au service des élèves studieux et soigneux, le buvard me rappelle (traitez-moi de réac si vous voulez) la belle époque désormais révolue de la plume et de l’encrier. Ces derniers, outils indispensables de nos devoirs d’écriture, laissaient leurs empreintes sous la forme de taches et ratures qu’ils laissaient derrière eux. Mes cahiers d’écolier peuvent en témoigner. Les maîtres ou maîtresses (c’est ainsi
qu’on les appelait à l’époque) chargés de mon éducation se faisaient un plaisir à l’époque de me donner des mauvaises notes pour travail barbouillé digne d’un souillon. Qu’avais-je fait de mon buvard ?
Les machines à écrire : Pas bouddhiste pour un sou, j’ai éprouvé beaucoup de peine lorsque les gendarmes des technologies nouvelles sont venus chercher, il y a une trentaine d’années de cela, ma machine à écrire pour la remplacer par un affolant ordinateur. J’étais attaché, très attaché à cette dactylo devenue vétuste et je ne voyais pas d’un bon œil ce changement. Il me faisait peur. Face au défi technologique j’ai plutôt tendance à abdiquer. Depuis, je m’y suis fait. J’en suis esclave. Que l’on me rende ma liberté et ma machine à écrire.
Les films et caméras (8, super 8, 16 mm) : il n’y a pas si longtemps de cela je filmais en super 8 ou 16 mm. Essayez de nos jours de trouver une caméra et un projecteur pour ces formats. Quasiment impossible à moins d’avoir un ami collectionneur ou brocanteur qui a eu la sagesse de ne pas s’en être débarrassé. De même pour les pellicules d’appareil photo. Tout est digital de nos jours. Même les DVD n’ont plus le droit au chapitre. Les magasins qui en vendaient ont fermé boutique. Considérés archaïques, après avoir connu des années glorieuses, nous les avons délaissés au profit de nouvelles découvertes qui sous peu deviendront elles aussi désuètes.
J’ai d’autres souvenirs : les blouses grises des écoliers, les couches non jetables en linge épais pour bébé, la chicorée, les mouchoirs en tissu, les visites à domicile du médecin de famille, les pantalons golf que l’on m’obligeait de porter, le chauffage au charbon, le fer à repasser en fonte, les bœufs et chevaux de trait, la montre mécanique à remonter quotidiennement, le pot de chambre, les toilettes sans chasse d’eau et le tout à l’égout, le thermomètre à utilisation rectale et j’en passe. La liste semble inexhaustible.
Que de changements. Tout disparaît si rapidement. Tout est caduc, éphémère. Tout devient rêve ou mirage. Je n’ai même plus le temps d’avoir des regrets. Bientôt ma mémoire manquera d’espace pour emmagasiner tous mes souvenirs. Ma tête, qui n’est plus sûre sur mes épaules, abrite un musée rempli d’objets et d’éléments obsolètes.
Désolé, la visite de mon musée des antiquités est maintenant terminée. Un film m’attend sur Netflix. J’en profite avant que cela aussi disparaisse. Car un jour ou l’autre, tout disparaît : la COVID-19 incluse.