Ceux qui sont plus jeunes que moi, et cela veut dire presque tout le monde, n’ont pas vécu dans une époque où il n’existait presque rien pour combattre les vagues de maladies contagieuses. On n’avait pour tout vaccin que celui contre la petite vérole (smallpox) qui avait fait des ravages, particulièrement chez les autochtones, leur laissant le visage criblé de cicatrices. On l’administrait à l’âge scolaire, en grattant la peau du bras, et il se formait une pustule qui laissait une ample cicatrice.
Le prochain vaccin apparut dans les années 40, le DPT. D pour diphtérie, une infection de la gorge qui créait des membranes étouffantes, P pour coqueluche (pertussis ou whooping cough) qui tuait beaucoup de bébés, et T pour tétanos, une affection convulsive horrible qu’on pouvait attraper par la simple ponction d’un clou rouillé.
La tuberculose sévissait, surtout dans les logis urbains. Ceux qui avaient de la chance étaient envoyés en cure dans des sanatoriums, vastes édifices en montagne où ils passaient pendant des mois leurs journées en plein air, étendus sur des chaises longues et enveloppés dans des couvertures. L’écrivain allemand Thomas Mann a écrit un roman sur le sujet en 1924 : La montagne magique. Le vaccin BCG est devenu disponible et les antibiotiques comme traitement moderne… jusqu’à l’apparition de la résistance.
La polio (poliomyélite) était le cauchemar des parents. Elle attaquait les enfants durant les chaleurs de l‘été. Des membres paralysés, parfois pour la vie, et même les poumons étaient souvent atteints. On voyait dans les hôpitaux des rangées de poumons d’acier, tels des cercueils, avec la tête seule en dehors. Plusieurs ne survivaient pas indemnes. En 1954, un vaccin a été élaboré par les docteurs Salk et Sabin contre ce fléau.
En général, les autres maladies contagieuses telles que la grippe, la rougeole, la scarlatine, les oreillons (mumps) frappaient des familles entières et se compliquaient souvent de bronchites et de pneumonies. Les familles se mettaient en quarantaine et enduraient. Les enfants perdaient des mois d’école. À Québec, il y avait un hôpital entier pour les contagieux. On pouvait leur parler en restant à l’extérieur, sous la fenêtre. Ces maladies, quand elles épargnaient l’enfance, prenaient parfois leur revanche chez les adultes. Ma mère a eu la rougeole à 44 ans, et moi, les oreillons durant une épidémie frappant surtout les adultes. Les hommes étaient alors terrorisés à la possibilité que l’infection de leurs glandes salivaires passe à certaines autres glandes, ce qui peut causer la stérilité ! Mais mon fils a pu recevoir un vaccin efficace contre les oreillons à treize ans.
Les maladies alors appelées vénériennes (de Vénus, déesse de l’amour), faisaient partie du bordel. La syphilis non traitée conduisait à des démences parfois précoces. Encore une fois, la pénicilline est arrivée et a fonctionné comme par magie pendant un temps avant que la résistance se développe.
Donc, chassez la nature et elle revient au galop. On ne gagne pas tout. Les drogues miracles perdent leur efficacité, on s’entasse dans des villes surpeuplées, on protège trop les enfants, ne leur permettant pas de créer des immunités, on en vient à se croire immaculé et immortel. Mais Dame Nature a des ressources infinies.
Nous voici happés par cette vague d’un nouveau virus hors de contrôle, et nous ne pouvons penser qu’à nous isoler et nous aseptiser. Même les plus paranoïaques ne peuvent complètement se protéger. Il faudrait vivre dans une bulle (de savon).
Louise Dawson, responsable de la correction de la section française du journal La Source