Applaudie par la critique canadienne dès ses débuts littéraires pour son écriture fluide et délicate, l’écrivaine sino-canadienne Ying Chen, a quitté le Québec pour s’installer à Vancouver et nous raconte sa passion pour les langues étrangères ainsi que son parcours atypique.
Originaire de Shanghai, en Chine, Ying Chen commence très tôt l’apprentissage de langues étrangères : elle se découvre une passion pour le russe dès le primaire, une langue alors enseignée jusqu’au secondaire dans le cadre du développement des relations diplomatiques de la jeune République Populaire de Chine. Mais, à la grande déception de la Shanghaienne, l’enseignement de la langue de Tchekhov disparaît des choix de langues vivantes à l’école. Ying Chen a alors dix-sept ans et se tourne vers les trois langues des « nouveaux amis » de la Chine Populaire, enseignées à la prestigieuse université de Fudan : le japonais, l’anglais et le français. « J’ai opté pour le français, puisque je connaissais déjà l’anglais, et que le japonais me paraissait, peut-être à tort, trop semblable au chinois. Je voulais apprendre quelque chose de très différent », confie l’écrivaine.
Au pays natal du Dr Norman Bethune
Et même si l’apprentissage de la langue de Molière n’y est pas aussi populaire que l’anglais, chaque ville chinoise possède au moins une université proposant l’étude du français, de son histoire et de sa littérature ancienne et moderne car « sans être un pays francophone, on compte en Chine une population francophile considérable, d’où je viens », commente Ying Chen. Ce qui explique pourquoi la littérature française y est largement traduite. Mais l’étudiante veut pouvoir la lire en version originale. Elle choisit donc à vingt-huit ans de quitter la Chine pour le Canada, à contre-courant des francophiles chinois partis étudier et vivre en France. Déjà bilingue, elle refuse le service d’un interprète pour son entrevue au consulat canadien de Beijing, après dix heures de train. À la fin de l’entretien, en la raccompagnant à la porte, son interlocuteur lui souhaite « Bonne chance » avec un fort accent anglais, ce qui a beaucoup ému l’écrivaine : « Le Canada, pendant longtemps, c’était pour nous le pays natal du Docteur Norman Bethune, un pays qui avait la “réputation d’être neutre, calme, propre et beau” », raconte-t-elle. « Personne ne m’avait jamais parlé de l’histoire du chemin de fer, ni de Head Tax », ajoute l’auteure de Lettres chinoises.
« Une maison choisie ou acceptée »
Et c’est une fois installée de l’autre côté du Pacifique que Ying Chen se lance en tant qu’écrivaine. Son premier roman La mémoire de l’eau est, dès sa parution en 1992, accueilli avec enthousiasme par la presse québécoise qui voit en cette jeune écrivaine « un nouvel élément dans l’évolution de sa société, alors que la France tend à voir, à travers les écrivains immigrants, un ailleurs qu’on aime ou qu’on n’aime pas », explique-t-elle, sans amertume. « Les deux approches s’unissent dans un même accueil bienveillant à la langue française qui émeut souvent les lettrés francophiles chinois, quel que soit leur parcours, tempérament et lieu de résidence », continue l’écrivaine, qui se plaît à relire Proust et Duras autant que Sarraute et Yvon Rivard…
Convaincue que l’écriture se développe « dans le for intérieur, dans un espace qui n’est pas géographique »,
Ying Chen éprouve peu le besoin de changer de langue d’écriture : « J’espère traduire un jour mes textes vers le chinois et vers l’anglais, croyant à ce que Nancy Huston nomme le “traduisible”, » confie-t-elle.
Pour cette Vancouvéroise érudite, la langue française, de par son statut minoritaire en Colombie-Britannique, représente « une valeur de diversité dans un monde très globalisant ».
Mais c’est une diversité à la fois chaleureuse et accueillante, car selon cette polyglotte : « Une langue est une maison. Si les hasards de l’histoire ont mis cette maison sur ma route, pour moi et, à ma connaissance, aussi pour la plupart de mes compatriotes francophiles, tant en France qu’au Canada, il s’agit d’une maison agréable la plupart du temps, une maison choisie ou acceptée, et non pas imposée, sans rancune du passé, une maison remplie d’esprits brillants, tolérants et humanistes », conclut Ying Chen.
Après son dernier roman Blessures, publié en 2016, sur un médecin au front, Ying Chen publiera prochainement une nouvelle oeuvre sur la vie des scientifiques et le rôle de la science, y exprimant également sa profonde inquiétude sur l’état de la planète.