Fait peu souvent relevé, la couronne a un représentant personnel dans chacune des provinces de la confédération canadienne. Si, avec le temps, leur rôle tend à être de plus en plus symbolique, ces derniers avaient une influence bien réelle sur les territoires dans lesquels ils avaient été nommés.
L’un des plus appréciés de l’histoire de la Colombie-Britannique fut l’honorable Henri-Gustave Joly de Lotbinière, né en France, premier ministre du Québec entre 1878 et 1879 mais surtout lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique de juin 1900 à 1906. Gisèle Samson, archiviste de l’Association historique francophone de Victoria présente ce personnage dont l’héritage survit à ce jour.
La Source : Pouvez-vous nous présenter le 7e lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique ?
Gisèle Samson : Bien sûr, cela fait vingt ans que je me renseigne à son sujet. Henri-Gustave Joly de Lotbinière est né en France où il grandit et fait ses études jusqu’à l’âge de vingt ans. Il est le fils d’un marchand français, Pierre-Gustave Joly, et d’une noble canadienne du Québec, Julie-Christine Chartier, Dame du domaine de Lotbinière. A son arrivée au Canada, il devient avocat et se marie avec une montréalaise anglophone, Margaretta Gowen. Ainsi, dès le début le couple symbolise la dualité linguistique canadienne. Ensemble, ils auront onze enfants dont six parviendront à l’âge adulte.
La Colombie-Britannique ne faisait partie du Canada que depuis 1871
L S : Pourquoi est-il nommé en Colombie-Britannique, lui qui n’avait jamais mis les pieds à l’Ouest ?
G S : Il arrive lors d’une période trouble de l’histoire de la province. Son prédécesseur (Thomas Robert McInnes N.D.L.R.) avait des désaccords assez poussés avec le premier ministre du Canada de l’époque, Wilfrid Laurier, et ce dernier, exaspéré par son attitude, avait demandé au gouverneur général de l’époque de le remplacer par Joly de Lotbinière. Il s’agissait surtout de bien ancrer la Colombie-Britannique au Canada et de rapprocher la province de ses sœurs à l’est. Il ne faut pas oublier que la C.-B. ne faisait partie du Canada que depuis 1871, soit moins de trente ans avant le début de son mandat. La vie politique provinciale de l’époque était assez agitée, voire chaotique, et il y avait toujours le risque que la C.-B. se détache du Canada. Henri-Gustave Joly de Lotbinière est un homme autoritaire avec une longue expérience politique qui cadre très vite les premiers ministres provinciaux pour apaiser la situation.
Il présente un charmant mélange des coutumes françaises et québécoises
L S : En quoi se distingue-t-il de ses prédécesseurs ?
G S : Il est le premier lieutenant-gouverneur francophone de la Colombie-Britannique. Il présente un charmant mélange des coutumes françaises et québécoises inhabituel pour l’époque et il séduit beaucoup par son style. Il est francophone et protestant (la plupart des francophones de l’époque sont catholique N.D.L.R.), ce qui rapproche les deux communautés par sa personne. Il a été anobli par la reine, ce qui contribue à sa respectabilité. Sa femme aussi est une personne épatante, membre du National Council of Women, absolument passionnée de Shakespeare. Elle mourra pendant le mandat de son mari à Victoria en 1904.
L S : Quel est son bilan sur les six années de son mandat ?
G S : J’ai déjà parlé de son rôle modérateur dans les relations de la province avec le premier ministre Laurier. Il joue également un grand rôle dans la politique d’exploitation et de préservation des forêts. C’était un passionné de botanique (son jardin familial au Québec est un monument classé) et ses connaissances ont grandement éclairé le gouvernement de l’époque dans les lois relatives à l’industrie du bois. Il est d’ailleurs l’un des cofondateurs de l’association forestière canadienne. Par ailleurs, en raison de son histoire personnelle, c’était un homme très tolérant et il s’est beaucoup opposé aux lois anti-asiatiques de l’époque. On tentait de limiter l’immigration en provenance de la Chine mais aussi de les taxer. Malheureusement ces lois seront finalement votées plus tard (en 1918 N.D.L.R.). Sur un plan plus matériel, il existe aujourd’hui une avenue de Lotbinière à Victoria à côté de la maison du gouvernement, et il a de nombreux descendants au Québec.
L S : Un mot de la fin ?
G S : Je laisse le mot de la fin à Henri-Gustave dont la devise était « Planter avec soin, cultiver avec persévérance »