Pour tout vous dire, je n’aime pas les blancs. Les blancs me donnent la chair de poule et même parfois la nausée. J’y suis allergique, que voulez-vous ? Les blancs d’œufs par exemple. Il suffit que j’aille me faire cuire un œuf pour immédiatement me demander ce que le blanc fait là. Il n’a aucun goût, s’avère insipide et ne sert strictement à rien sinon qu’à prendre de la place dans mon assiette. Un blanc encombrant. Un blanc à qui j’aimerais dire : va voir là-bas si j’y suis. Un blanc qui fait chou blanc. Non, vraiment, le blanc ne me réussit pas.
Ainsi je ne bois pas de vin blanc. D’ailleurs je ne comprends pas pourquoi il est appelé blanc. Il n’est pas blanc pour un sou tout comme le pétillant Blanc de Blanc. Certes il est plus blanc que le rouge ou le rosé mais, entre nous, n’en déplaise aux viticulteurs, il n’est pas blanc. Il est d’une couleur indéfinissable qui varie du jaune au gris. Une espèce de faux jeton qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas.
En art le blanc me dérange tout autant. Dans l’œuvre de Pierre Soulages par exemple, le blanc cherche à ne pas se faire remarquer. Une forme de fausse modestie : il fait semblant de passer inaperçu. Je le soupçonne d’en vouloir à l’artiste de l’avoir situé à l’arrière-plan. Position qu’il estime ne pas mériter. Il aurait préféré la place d’honneur à laquelle il croit avoir droit. Soulages, à qui on ne la fait pas, l’a sans doute regardé dans le blanc des yeux pour lui dire ses quatre vérités. « Depuis quand ce blanc-bec se permet-il de contester mes choix et mon talent ? » a dû se demander le peintre au sommet de son art.
Lorsque je dis blanc j’inclus, cela va de soi, le féminin. Blanche ou blanc c’est du pareil au même. L’un étant aussi détestable que l’autre. Prenez la page blanche synonyme de manque d’idée. Moment d’angoisse éprouvant, déroutant. Je ne connaîtrai jamais le succès littéraire auquel j’aspire. Je ne pourrai donc, à mon grand désarroi, m’endormir un jour sur mes lauriers. Ce qui m’amène à vous parler de mes nuits blanches que je méprise. Sources de mes insomnies, elles me tiraillent, m’épuisent, m’agacent et surtout me mettent de mauvaise humeur. Elles me font souffrir et sont d’un sadisme épouvantable. J’aimerais que de blanches elles passent au rose ou à autre chose. Mes nuits demeurent blanches malgré l’obscurité. Nuit blanche ou insomnie, l’équivalent de blanc bonnet ou bonnet blanc. Je ne m’en sors pas. Je devrais arrêter de me plaindre et éviter de vous faire partager mes malheurs. Après tout je suis assez grand pour laver mon linge blanc, plutôt sale, en famille.
Dans la même veine, la vue du blanc sur le clavier d’un piano m’exaspère. Je ne supporte pas le sentiment de supériorité, se sachant majoritaire, qu’affichent ces touches tout en montant la gamme. Il n’y en a que pour elles. Quelle prétention. Elles sentent un besoin viscéral de dominer et de minimiser l’importance des autres touches alors que ces dernières doivent, en toute modestie, elles aussi faire face à la musique. Oh ! Excusez-moi, j’ai un blanc de mémoire : je ne me souviens plus du nom du pianiste en redingote blanche qui joue ce morceau dont le titre m’échappe. Ce blanc m’est insupportable. Il met en doute mes capacités mentales. Pire, avec l’âge il empire. J’en attrape des cheveux blancs.
Mon courroux envers le blanc ne s’arrête pas là. Que penser d’une mariée vêtue de blanc ? Rien de plus ironique. Si cela représentait une forme de pureté il y a moins d’un siècle encore, de nos jours je ne pense pas que ce soit valable, les modes changent. Cette forme d’hypocrisie n’a plus raison d’être. Sans verser dans un cynisme excessif, je ne pense pas trop m’avancer en prétendant que la virginité, la pureté, dont on affuble le blanc, soit un concept archaïque. Je reconnais toutefois que si le marié tire à blanc, il valide ainsi son mariage blanc au grand désarroi de la mariée en blanc qui doit faire grise mine. Oh la la ! Je ne vois que du blanc. Tout me paraît moins clair.
À ce stade-ci, je me sens obligé de passer de but en blanc à ma conclusion. Elle est cousue de fil blanc. Constatez par vous-même : face au coronavirus, à qui nous avons donné carte blanche, j’ai hissé le drapeau blanc. Je suis donc battu, défait, saigné à blanc. Le blanc signe de faiblesse, de fierté bafouée. Je baisse les bras. Je rends les armes avec l’intention de reprendre de plus belle dans six semaines lors de la prochaine parution du journal. Bon été
Merci Robert, j’ai adoré cet opus ! J’aimerais vous faire un compliment au niveau de votre savoir-faire mais je fais « chou blanc » ! Je ne suis pas aussi bonne que vous avec les mots 😉