Avocate nigériane et doctorante à l’université de Colombie-Britannique, elle est missionnée par la ville de Vancouver pour proposer des recommandations concrètes contre le racisme anti-Noir. Parce qu’elle jongle entre ses études et son travail, nous avons discuté par courriel avec elle. Rencontre.
« Black Lives Matter ». C’est le slogan qu’on peut lire sur de nombreuses pancartes de manifestants venus défiler à Vancouver, Toronto et Montréal contre les violences policières et le racisme anti-Noir en juin. L’élément déclencheur : la mort de George Floyd, Afro-Américain de 46 ans, par un policier blanc, Derek Chauvin, le 25 mai dernier lors d’un contrôle de police à Minneapolis (Minnesota, États-Unis). Depuis la mort de ce père de famille qui révèle l’ampleur du racisme systémique américain, de nombreuses manifestations surviennent pour dénoncer les violences policières. Aux États-Unis principalement. Mais aussi au Canada. En France. Au Royaume-Uni. Ou encore en Allemagne.
Vancouver en campagne contre le racisme
La mort de George Floyd vient s’ajouter à une longue liste de personnes noires victimes de violences racistes de la part de la police. Et permet de mettre en lumière un problème de fond systémique : le racisme anti-Noir tue. Mais la ville de Vancouver n’a pas attendu cet énième événement tragique pour s’y intéresser. Dès 2014, la ville aspire à être une ville sûre dans laquelle ses résidants se sentent en sécurité. Tel est l’un des objectifs de The Healthy City Strategy (Plan stratégique pour une ville en santé), approuvé par le conseil municipal.
Mais ce n’est qu’à l’été 2019 qu’Oludolapo Makinde, avocate nigériane et doctorante à Peter A. Allard School of Law est choisie en tant que Healthy City Scholar pour écrire un rapport sur le racisme anti-Noir à Vancouver. Sa mission : proposer à la Ville des moyens concrets pour y remédier. Fièrement, l’avocate explique : « En tant que Healthy City Scholar sous la responsabilité du UBC Sustainability Scholars Program (Programme d’études sur la durabilité de UBC) […] je suis l’une des brillantes spécialistes engagées à mener des études sur un éventail de projets liés à la durabilité ». Towards a Healthy City : Addressing Anti-Black Racism in Vancouver, co-écrit avec l’aide de son mentor April Sumter-Freitag, est un succès. Si bien que l’une de ses recommandations obtient un financement du conseil de la Ville sur le budget 2020.
Faire partie d’une minorité… à l’intérieur d’une minorité
Dans son rapport, la doctorante avance une statistique qui peut sembler surprenante : la population noire de Vancouver représente environ 1%. « Nous sommes une minorité à l’intérieur d’une minorité à Vancouver, et je pense que les gens ont tendance à penser qu’il n’y a pas d’antécédents de racisme anti-Noir à Vancouver ». Et c’est là une partie du problème. Le peu de personnes noires présentes ne signifie pas qu’il n’y a pas de racisme anti-Noir. Au contraire. D’ailleurs parce que la population noire est si minoritaire, elle a plus de difficulté à faire entendre sa voix quand elle est victime de racisme.
Dialoguer avec les personnes concernées
À l’été 2019, l’avocate mène des entrevues. D’abord auprès des employés de la Ville. Ensuite auprès des membres de la communauté noire. C’est à ce moment qu’elle peut émettre ses recommandations : « J’ai la conviction que le premier pas, et c’est d’ailleurs l’une des recommandations des Nations Unies, est de formellement reconnaître que les descendants des Africains représentent un groupe distinct dont les droits doivent être reconnus et protégés ». Selon elle « cette reconnaissance devrait créer un cadre favorable à la réconciliation et à des excuses publiques qui reconnaissent l’histoire de la discrimination et du racisme infligés aux Vancouvérois noirs ». Pour aller plus loin, la jeune femme conseille à la ville de Vancouver d’entreprendre et de maintenir un dialogue avec la communauté noire « pour efficacement aborder le racisme anti-Noir […] la Ville doit discuter avec la communauté noire pour saisir ce dont elle a besoin afin que celle-ci se sente incluse et en sécurité ».
Du côté des activistes, le temps est aussi à la discussion. Si bien que la Hogan’s Alley Society, qui fait depuis quelques semaines l’actualité à Vancouver, a demandé une fiducie foncière pour le quartier Hogan’s Alley. Oludolapo Makinde commente : « Accorder cette fiducie foncière est un pas important dans ce processus de réconciliation ». Ce quartier comptait de nombreux commerces tenus par des personnes noires avant de disparaître lorsque les bâtiments ont été détruits dans les années 60.
À long terme, grâce aux recommandations d’Oludolapo Makinde, la Ville pourrait attirer des membres de la communauté noire. Et ainsi éviter ce que vit actuellement la jeune avocate. « En tant que doctorante et femme noire ici à Vancouver, mon plus grand défi est face au petit nombre de femmes noires ayant accédé à des postes supérieurs qui pourraient faire figure de guides et mentors pour des jeunes femmes noires telle que je suis.
Alors, la plupart du temps », confie-t-elle, « je dois me débrouiller seule et trouver un moyen de manoeuvrer à travers des systèmes d’oppression ».
Pour plus d’information visitez le : www.sustain.ubc.ca/about/resources/towards-healthy-city-addressing-anti-black-racism-vancouver