En ces temps troubles, le besoin d’évasion est indispensable. Si le septième art arrive en première position des échappatoires, la littérature tient également une place importante dans la préservation de notre santé mentale. Mais bien plus qu’un divertissement, elle peut aussi créer des fondations s’invitant dans le réel et ouvrant le monde des possibles. Entretien avec Vincent Gélinas-Lemaire et Elizabeth Lagresa-González.
Green College propose des débats sur la construction du monde durant des temps incertains, notamment grâce au pouvoir, à la culture et à la pédagogie. Cette série de débats a été mise en place par l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) et offre une tribune aux doctorants de toute filière.
Différents intervenants proposeront des présentations sur le thème de l’architecture narrative dans le domaine de la littérature mais les belles-lettres seront également conjuguées à d’autres disciplines comme le droit et le théâtre, notamment l’espace scénique. Le but de cette architecture narrative est de rappeler le pouvoir de l’imagination collective et de son influence sur le monde réel.
« Ces différentes approches permettent d’avoir une vision plus globale de l’architecture narrative », explique Vincent Gélinas-Lemaire.
Les présentations seront suivies d’une session de questions et de réponses avec les intervenants.
Construire des espaces avec la littérature
Deux doctorants de Harvard servent de guides dans cette littérature revisitée par d’autres prismes. Architecte de formation, Vincent Gélinas-Lemaire s’est spécialisé dans la littérature francophone contemporaine. Ce chemin ne s’éloigne pas tellement de son idée initiale : l’impact d’une charpente, d’un espace autour de l’humain. L’auteur de Le Récit architecte : cinq aspects de l’espace propose une nouvelle approche de la poétique de l’espace et explore le concept de l’architecture narrative.
Inspiré de Bachelard pour le rapport intime suggéré entre les espaces et toutes les facettes de ses habitants, Vincent Gélinas-Lemaire explique qu’il y a une foule d’échos qui se développent dans les deux directions. « C’est comme en littérature (mais souvent aussi dans le réel), le chez-soi de quelqu’un semble souvent refléter son identité profonde et, inversement, ce quelqu’un est sans cesse formé par son environnement. On le sent (trop) nettement pendant le confinement. »
Elizabeth Lagresa-González, doctorante d’Harvard, est également de cet avis. Spécialisée dans la littérature et la culture hispanique du 16e siècle, elle souligne le lien intemporel entre les lettres et l’architecture. Elle revient sur l’importance des récits sur la perception du réel dans l’histoire. « Prenons la Méditerranée par exemple. Certains lieux ont été glorifiés et ont acquis un statut particulier. L’espace imaginaire a directement influencé les fictions historiques et le théâtre », se référant ici à l’abondance des récits de l’Antiquité dans la région, à ses nombreux temples et autres lieux mythiques et évidemment à l’impact sur la population.
L’impact des mythes et légendes sur la réalité
Vincent Gélinas-Lemaire enseigne la géocritique, l’analyse de la littérature sur des lieux réels tels que Venise et Vérone. « Lorsque les touristes visitent Vérone, c’est surtout pour son célèbre balcon, celui de Roméo et Juliette. Sans ce lieu, il n’y aurait pas autant d’intérêt pour cette ville italienne », souligne Elizabeth Lagresa-
González. De même, le syndrome de Paris touche des Japonais nourris aux histoires romanesques découvrant une réalité bien plus sombre et tombant littéralement en dépression.
Des mythes comme eldorado ou encore le paradis terrestre, chez Voltaire par exemple, ont impacté le réel. Croyant à cette abondance des terres inconnues, des explorateurs et chercheurs d’or se sont réellement lancés en quête des contrées fantasmées, ont franchi des mers et des montagnes et finalement ont concrètement bâti, selon le doctorant.
Si la littérature construit généralement de nouveaux espaces, notamment imaginaires, elle a aussi son lot de lieux communs. « Ces histoires semblent reléguées au passé mais elles survivent et trouvent un écho dans le présent », explique Elizabeth Lagresa-González. Ainsi, les récits antiques sur les catastrophes naturelles, épidémies et autres crises humaines ne s’éloignent guère de la gestion de la situation actuelle et des questions éthiques autour de celle-ci.
Mais le réel a aussi créé des mondes imaginaires. La spécialiste de la littérature et de la culture hispanique rappelle que « la légende noire espagnole s’est construite sur des images et des histoires. Dans ce cas, c’est le réel qui influence l’imaginaire. »
Écrire le futur ?
La littérature peut influencer le futur dans une certaine mesure. Les dystopies et autres romans d’anticipation ne sont pas des genres nouveaux. H.G. Wells écrivait La machine à remonter le temps en 1895 et bien d’autres ont suivi tels qu’Aldous Huxley Le meilleur des mondes ou encore La servante écarlate de Margaret Atwood pour bâtir des mondes possibles pour le meilleur et pour le pire.
Cette anticipation du pire est aussi bénéfique dans le sens où elle permet de réfléchir sur les conséquences du présent et permettra de bâtir la société, d’inspirer des lois, de renforcer l’éthique ou encore de donner des solutions avec une littérature apportant une foison de détails scientifiques (telles que les oeuvres de Jules Verne, très documentées et précises). « En un sens, c’est en imaginant le pire des scénarios qu’on peut s’y préparer, et la fiction s’y prête bien » explique Vincent Gélinas-Lemaire.
A l’heure du contenu conforme et monochrome, sur des plateformes de visionnage ou de partage de photos, le monde imaginaire est menacé et la fragilité des structures architecturales du verbe devient de plus en plus apparente. Suivre une conférence sur la littérature et les nouveaux mondes qu’elle construit est une véritable bouffée d’air frais dans une atmosphère saturée de mirages et pourrait soulager des affres de la pensée unique.
Cet évènement, ouvert à tous, se déroulera en ligne le 22 octobre sur Zoom.
Retrouvez plus d’informations sur le site de Green College : www.greencollege.ubc.ca