Je n’aurais jamais imaginé vivre des météos aussi différentes en une seule année, et encore moins découvrir le Canada en période de confinement. Cet été, alors que les restrictions étaient assouplies, que les chaleurs augmentaient, et que les Vancouvérois semblaient apprécier à nouveau le magnifique paysage estival de la ville, j’ai dû faire mes valises et quitter la ville que j’avais choisie pour me rendre de l’autre côté du continent et m’installer à Montréal. J’avais décroché une de ces offres d’emploi que l’on ne peut refuser, et préparé mon voyage sous les encouragements de mes amis francophones tous rêvant de Montréal. La plus importante ville francophone du Canada attire toujours autant et mes proches vivaient cette expérience par substitution, grâce aux nombreuses photos et cartes postales envoyées depuis l’Est, sans subir la chaleur étouffante de l’été montréalais ni les risques sanitaires liés au voyage.
Attitude chaleureuse
Le Québec semble compenser ses hivers légendaires par des chaleurs tout aussi impressionnantes pendant un court été, où se mélangent les odeurs de toutes les cuisines d’Haïti à Canton en passant par Lisbonne et Casablanca, dans un brouhaha où les rires couvrent le rythme de la salsa et des travaux dans les rues piétonnes. Je m’étais habituée aux paysages verdoyants, au calme et à la douce brise du Grand Vancouver, où randonnées et courses à pied conquièrent rapidement tous les cœurs, pour me retrouver propulsée dans le centre névralgique de la mode et des grandes institutions culturelles du Canada, où l’attitude chaleureuse des Québécois est réputée faire oublier la longueur de l’hiver. C’était sans compter sur la COVID-19 pour mettre à mal mon enthousiasme et les festivités annuelles rythmant la vie des Canadiens de la côte Est : plus de festivals, plus de concerts, plus de cafés ou bars où l’on fait habituellement d’intéressantes rencontres. J’allais découvrir Montréal, puis Québec, et Gatineau, avec un masque et sans guide de survie.
Nouveau vocabulaire
Car même si Montréal est un centre culturel et artistique pour toute la francophonie, vivre et se développer entouré par des provinces majoritairement anglophones crée un nouveau rapport à la langue et un nouveau vocabulaire pour contrer rapidement tous les anglicismes que le reste de la francophonie absorbe plus ou moins facilement. Mais les noms anglais y sont prononcés dans leur version originale et la grammaire peut aussi se rapprocher un peu plus de la langue de Shakespeare, ce qui, avec la différence d’accent multiplié par le port du masque et les vitres en plexiglas, rend les conversations complexes, où le langage corporel et les mimes sont souvent de mise pour se faire comprendre. Un échange à la papeterie peut ainsi rapidement ressembler à une scène de Charlie Chaplin, se terminant parfois par une recherche image sur internet. Etant partie d’une ville où tout le monde s’adapte au niveau d’anglais de chacun, et où il est courant d’avoir une conversation enrichie de différents dialectes au téléphone, je ne m’attendais pas à me faire reprendre sur mes phrases en français à Montréal ni à observer ce regard surpris quand je tends ma carte d’identité de Colombie-Britannique, suivi d’un « Mais tu parles très bien français ! ».
Ayant été aussi longtemps coupés des communautés francophones, les Québécois oublient parfois que d’autres communautés francophones vivent et grandissent au Canada, loin du drapeau fleurdelisé.
Fluidité culturelle
Passer de Vancouver à Montréal m’a réellement permis d’apprécier cette fluidité culturelle qu’il y a dans le Grand Vancouver, où l’on passe d’une langue à l’autre, en faisant un pas vers une autre culture et se rencontrant souvent au milieu, mais aussi la capacité des Québécois à raviver une langue et une culture, à rester optimistes et pleins de joie malgré les rudes températures et le confinement. Puisque je vis avec un non-francophone, le Québec m’a permis d’apprécier mon multilinguisme et m’a aidée à développer mes talents de traductrice-interprète improvisée quand mon conjoint reste bloqué face à un Montréalais lui demandant « Do you speak français ? ». De même que la surprise de mes amis de Vancouver quand je réussis à traduire une blague en espagnol ou en yiddish entendue le matin dans une bagelerie de Montréal.
Il s’agit en fait de la Biosphère et non du Biodôme.