Il était rassurant de voir les marques de « deux mètres » sur le sol de l’aéroport Heathrow de Londres. Fin octobre, alors que je venais de prendre un vol Paris-Londres, j’étais prête à embarquer sur mon deuxième vol pour Vancouver. À l’époque, la France avait régulièrement plus de 50 000 cas par jour et était sur le point d’annoncer un deuxième confinement. À Paris, j’étais tellement habituée à voir des marques « d’un mètre »
partout. Je me sentais chanceuse de quitter Paris.
J’ai quitté la Colombie-Britannique à l’âge de dix-sept ans pour explorer le monde. Au début, je suis allée à Montréal pour l’université. Comme beaucoup d’Asiatiques qui sont arrivés au Canada à l’adolescence, j’ai choisi la plupart des cours de sciences au lycée parce qu’il était beaucoup plus facile d’y obtenir de bonnes notes avec un anglais limité. Pour compenser le manque de connaissances, j’ai étudié la littérature et les civilisations occidentales avec le plus grand soin. Résidant sur le Plateau, j’ai découvert les lieux de brunch, les bars, les boutiques et les événements et festivals que la ville offre en abondance. La vie était formidable et Vancouver ne me manquait pas du tout. Deux ou trois ans plus tard, après quelques cours d’été et des voyages en Europe, j’ai ressenti l’envie de vivre en Europe et de découvrir une autre culture en profondeur. Attirée par la vie parisienne idéale dans les films – la Seine, les bouquinistes, la baguette et le vin – j’ai dévoré les livres français.
J’ai fini par m’y installer pour des études en maîtrise. Je visitais tous les musées et monuments, je me promenais dans les rues à pavés et je buvais sur les terrasses. Petit à petit, j’ai développé une routine à la parisienne. Je me suis acheté une carte qui me donnait un accès illimité à certains cinémas, un abonnement à la Philharmonie pour obtenir des billets bon marché et un forfait Opéra pour les jeunes. À deux pas de chez moi, je me trouve à Notre Dame et la Seine. J’étais dans une situation idéale dans Paris : entre l’excitation initiale et la lassitude éventuelle.
Parfois, quand je me plongeais dans mon travail, je ne voyais pas les belles choses que Paris me proposait : je me moquais des touristes qui prenaient des photos de la Tour Eiffel depuis Trocadéro. Je me plaignais du métro bondé, des pickpockets, des grèves, de la bureaucratie compliquée, et des horaires de travail démesurés.
Ensuite, la pandémie m’a privé des choses que j’aime le plus à Paris et a amplifié ses imperfections. Je faisais mon stage de fin d’études dans mon studio minuscule alors que mes collègues avaient quitté Paris pour un confinement à la campagne.
J’ai commencé à cuisiner davantage mais je ne maîtrisais pas l’art de sélectionner les légumes. « C’est pas bon », l’épicier au Jardin de Lutèce m’a dit en ramassant une gousse d’ail : « Prends plutôt celle-là ». Grâce à lui, j’ai toujours rapporté les légumes les plus frais à la maison.
En mai, la situation s’est améliorée et j’ai pu sortir à nouveau. L’épicier m’a dit qu’il allait en Tunisie pour les vacances d’été. « Qu’est-ce que tu vas faire après ton diplôme ? », qu’il m’a demandé. « Je vais chercher un CDI à Paris », ai-je répondu sans hésitation, en me réjouissant de goûter mon panier de fraises Gariguette.
Après avoir soutenu mon mémoire, j’ai commencé à chercher un emploi en septembre. Malheureusement, le virus circulait à nouveau. Assise sur mon clic-clac en regardant ma table pliante, seule, je ne voyais pas la moindre lumière au bout du tunnel. Il me semblait affreux de chercher un emploi dans mon 20 m². Là, le Canada me manquait profondément, son vaste territoire, ses heures de travail décontractées et ses sourires chaleureux.
J’ai profité de cette occasion pour réserver un billet pour Vancouver. Ce fut un soulagement immédiat. Cependant, Paris s’était accrochée à moi – j’ai dû résilier les services et les abonnements en passant par au moins dix lettres recommandées !
Je pourrais toujours retourner à Paris quand le monde se réveillera de la pandémie et quand je retrouverai mon énergie. Je profite des promenades dans la nature et j’apprécie la nourriture asiatique en famille. Les villes ne cessent d’évoluer en notre absence. Il y a tant de choses à redécouvrir à Vancouver.