Un retour à la normale pour les rassemblements dans les lieux culturels est en vue mais pour l’heure, l’art urbain a encore de beaux jours devant lui. Depuis début avril et jusqu’au 1er septembre, l’œuvre photographique de Chun Hua Catherine Dong The Misfits, que l’on peut traduire ici par Inadéquation, est exposée à la station de métro Aberdeen.
Deux poutres maîtresses de la culture chinoise composent The Misfits : le phénix et le dragon. Depuis l’histoire antique, ces animaux mythologiques vont souvent de pair et symbolisent la félicité et la bonne étoile d’un couple. À l’origine, le phénix pouvait être mâle ou femelle mais l’oiseau est aujourd’hui considéré exclusivement féminin depuis que, au cours des dynasties successives, le dragon soit devenu l’incarnation de l’empereur, et donc du masculin.
Entretien avec l’artiste sino-canadienne basée à Montréal pour en savoir davantage sur son travail qui invite à repenser la question du genre, en explorant conformité ancestrale, modernisme avec une option de réalité augmentée.
Revisiter la question du genre par un effet miroir
Chun Hua Catherine Dong explique qu’elle a été inspirée par ces deux créatures chimériques très présentes sur les habits traditionnels, qu’elle connaît depuis son enfance passée en Chine. En s’appuyant sur cette dimension culturelle, elle a souhaité explorer la question du genre, très importante pour elle : « parce que c’est relié à mon être », dit-elle.
Elle estime que le genre est le produit de nos sociétés, comme indiqué sur son site Internet. Pour elle, il symbolise l’inclination de celles-ci à vouloir établir des lignes claires et inflexibles : « Au tout début, de nombreuses créatures imaginaires dans les sociétés occidentales et orientales n’avaient pas de genre, ni d’ambiguïté. Tout comme le phénix, qui est passé d’un être indépendant à un outil des empereurs, du pluriel au singulier, du fluide au statique, son passage en animal masculin démontre comment le genre est le fruit du pouvoir politique et de la culture, et comment il est manipulé, imposé et naturalisé à travers les âges ».
L’artiste conçoit ce couple animal non comme binaire, mais comme un reflet de l’autre et, dans ce diptyque photographique, elle a donc voulu rebattre les cartes du genre et de son attribution. Pour ce faire, elle a choisi d’utiliser un bleu roi pour le phénix, signe de masculinité, et des fleurs de prunier et leur couleur violette pour donner au dragon un côté féminin. « En ajoutant ma vision à ce support classique, je souhaite réinterpréter les créatures mythologiques chinoises d’un point de vue féministe, et offrir une lecture contemporaine des traditions chinoises », précise Chun Hua Catherine Dong.
Une autre perspective de l’ « inadéquation »
Dans les habits traditionnels chinois, les motifs représentant la mer avec des couleurs arc-en-ciel sont très répandus. Ici, l’artiste se les approprie en choisissant de les juxtaposer avec son approche chromique pour renverser les codes. D’aucuns pourraient donc interpréter cet arc-en-ciel comme une représentation du drapeau du mouvement LGBT. Sur ce point, elle répond : « J’imagine que chacun saisira le sens de l’arc-en-ciel à sa manière ». Pour elle, c’est justement « ce qui rend (sa) création encore plus intéressante » Il en va d’ailleurs de même pour le titre de l’œuvre. « J’imagine que The Misfits est quelqu’un qui ne s’intègre pas dans la société. À interpréter comme on le veut. »
Pour Shaun Dacey, directeur de la galerie d’art de Richmond, l’approche de Chun Hua Catherine Dong est singulière en ce qu’elle utilise ces deux animaux traditionnels chinois à la signification très forte et qui font autorité pour relater une expérience du genre plus libre et fluide. « En changeant les couleurs et la composition, elle ouvre la porte à une position différente de ce qui a été le cas jusqu’à présent. J’adore le fait que ces folklores aient eu une fluidité concernant leurs caractéristiques, et donc elle rétablit cet état de fait, cette perspective-là », explique-t-il.
Il s’enthousiasme également de la pluralité des lectures qui peuvent être faites : « J’apprécie aussi comment ces éléments ne sont pas nécessairement évidents pour les personnes qui ne sont pas chinoises, comment une personne chinoise comprendra l’œuvre différemment d’une personne qui ne l’est pas. Au Canada, nous avons une tendance artistique à destination d’un public blanc ; j’aime la façon dont cette création est en quelque sorte faite pour une audience chinoise, ou le fait que celle-ci puisse comprendre les symboles et l’histoire plus profondément. »
Cette vue contemporaine l’est aussi par le fait qu’elle soit interactive à souhait. Le diptyque peut s’animer grâce à des éléments de réalité augmentée à découvrir grâce à une application téléphone, le tout sur une musique traditionnelle.
The Misfits est exposé dans le cadre du festival de photographie Capture, co-organisé par la galerie d’art de Richmond et l’organisme de promotion de l’art public de la ville de Vancouver. Informations complètes sur le site