« Avec ces pièces que je fais, il n’y a pas que la mode… Ce sont des pièces qui ouvrent une conversation », confie Sho Sho Esquiro, designer autochtone de haute couture.
L’artiste yukonnaise présente sa première exposition solo Doctrine of Discovery à la Bill Reid Gallery du 22 septembre 2021 au 5 juin 2022. L’étoile montante de la haute couture rend hommage à son héritage kaska, cri et écossais avec des œuvres uniques où créativité et engagement politique se répondent.
Au sommet de la tour Eiffel
Sho Sho Esquiro a été approchée par l’équipe de Jessica Minh Anh, top model et productrice de défilés de mode, pour son fashion phenomenon à Paris, un défilé au sommet de la tour Eiffel pour révéler les créateurs les plus prometteurs. « Ils voulaient des designers pour représenter leur pays, alors ils m’ont contactée pour représenter le Canada », raconte Sho Sho Esquiro, encore émue. Plus tard, la créatrice se retrouve à Paris pour présenter son travail et surtout la splendide robe bustier choisie pour représenter le Canada lors de cet évènement. La pièce en question, composée d’or 24K, de nacre, de queue de castor, de laine, de boutons d’ormeau et de plus de 14 mètres de soie, permet à Sho Sho Esquiro de se réapproprier un design typique du vieux continent, en utilisant des matériaux produits au Canada et mobilisant le savoir-faire autochtone. Présentée à la Bill Reid Gallery, cette pièce était issue d’une collection intitulée Worth Our Weight in Gold et présentée à Paris pour représenter le Canada au moment où « Stephen Harper […] alors premier ministre du Canada, […] avait refusé une enquête sur les meurtres de femmes autochtones », précise la créatrice kaska.
Guérison
Mais c’est une œuvre plus récente exposée dans Doctrine of Discovery qui attire le plus l’attention. Au premier regard, le cliché semble être une photo de mode classique, montrant un mannequin de dos posant devant les portes de Notre-Dame de Paris. Le mannequin arbore une pièce forte, composée de cuir recyclé, orné de perles en or pur, sur une veste couronnée d’une splendide fourrure blanche recyclée, associée à une jupe de lanières de cuir d’agneau taillées au laser. Il faut se rapprocher pour lire, écrit en perles d’or, le message politique de la veste : They stole the land from the children, now they steal the children from the land. Et la séance photo pique l’attention des passants : « Cela a provoqué une certaine agitation…les gens regardent et se demandent ce qui se passe », raconte la créatrice. Une passante l’interpelle et lui demande ce qu’ils font, et que signifie cette œuvre. Sho Sho Esquiro lui explique alors que c’est « parce que mon père, mon grand-père, ma famille, tous sont allés au pensionnat [pour autochtones] [et qu’il] était important de parler de ça parce qu’avec un peu de chance une certaine guérison en sortira, une certaine vérité… » « Beaucoup de gens parlent de réconciliation, mais nous devons [d’abord] surmonter la vérité », ajoute-t-elle. À la fin de son explication, la passante a remercié Esquiro, s’est excusée, et a soutenu l’importance du message. « Je n’aurais jamais pu avoir cette conversation avec cette femme et partager mon histoire et mon point de vue [sans cette rencontre opportune] ».
Ces défilés et expositions sont autant de plateformes qui lui permettent de partager l’histoire et le vécu de sa famille.
Environnement
Ces pièces présentées peuvent prendre des mois de travail avant de voir le jour. « Je ne compte pas forcément les heures parce que c’est vraiment un métier de passion », explique Sho Sho Esquiro. Et quand son entourage professionnel lui demande quand elle va commencer à se lancer dans la production de masse, l’artiste refuse en expliquant que le prêt-à-porter est au bout du compte « quelque chose qui va finir par endommager l’environnement, et ça n’a jamais été un intérêt pour moi ». C’est ce souci pour l’environnement et l’éthique qui fait de Sho Sho Esquiro une créatrice aussi engagée de la haute couture. « Tant de personnes peuvent être affectées, non seulement les travailleurs mais aussi l’environnement… c’est une chose à laquelle je pense toujours quand je crée », ajoute-t-elle. L’aspect durable de la haute couture permet à la créatrice autochtone d’être respectueuse de l’environnement, tout en soutenant sa communauté et donnant plus de visibilité aux nombreux talents autochtones du Canada. « J’ai travaillé avec des photographes autochtones, des coiffeurs et des maquilleurs autochtones […] parce que nous avons tellement de talents dans notre communauté », précise-t-elle. La créatrice a également travaillé avec l’une des fondatrices de l’agence de mannequinat autochtone Supernaturals de Vancouver, qui avait auparavant créé la Vancouver Indigenous Fashion Week, ce qui a permis à Esquiro de trouver des mannequins issus de communautés autochtones pour ses défilés. Pour chaque création, chaque défilé, c’est toute une communauté qui se mobilise.
Pour en savoir plus, veuillez visiter : www.billreidgallery.ca