La pratique des gestes quotidiens (A practice in gestures), une exposition de six artistes locales, six femmes, sur la façon dont les activités manuelles, qu’elles soient rituelles ou répétées, peuvent aider à faire face aux nouveaux contextes sociaux de nos sociétés. L’exposition sera présentée à la galerie d’art de Richmond (Richmond Art Gallery jusqu’au 7 novembre 2021.
La Source s’est entretenue avec l’une des artistes, Mitra Mahmoodi, une céramiste vancouvéroise d’origine iranienne.
Les premiers mois de la pandémie ont vu l’éclosion des travaux manuels chez les personnes confinées. Or beaucoup de travaux manuels réalisés, habituels ou créatifs, sont faits de manière distraite, sans porter une attention particulière. C’est ce qui a donné à la commissaire de l’exposition, Nan Capogna, l’idée d’explorer « ce que ce genre de mouvements répétés simples peut offrir », comme l’indique la galerie. Dans un courriel, elle ajoute qu’elle voulait « mettre en avant comment certains artistes travaillent dans leur technique artistique :
les rites et les répétitions sont un aspect important de
leur travail ».
Matérialiser ses croyances et ses questionnements
Diplômée en économie, Mitra Mahmoodi a quitté l’Iran il y a une dizaine d’années pour le Canada où elle a repris ses études, cette fois-ci dans l’art. Et cette double vie est la source de son inspiration. « Mon travail est basé sur l’étude approfondie de mon héritage du Moyen-Orient et islamique, et mon lien continu avec le paysage, l’architecture, la langue et la religion de cette partie du monde. L’antiquité, dans sa diversité et ses contradictions, est une source infinie d’inspiration », confie-t-elle.
Pour cette exposition, elle explique avoir choisi ses créations d’aftabeh, un pichet traditionnel à la forme bien particulière pour la pratique culturelle qu’il permet d’illustrer, « un vecteur historique important, pour montrer le lien entre hiérarchie économique et ostentations dans l’Islam historique et le Moyen-Orient, une chose qui existe toujours dans la région ». L’aftabeh est l’un des objets les plus caractéristiques de la vie quotidienne du monde arabe, utilisé généralement pour le lavage des mains et les ablutions avant la prière ou le repas alors que, souligne-t-elle, « leurs formes et décorations mettent en avant le statut socio-économique du propriétaire. » Or elle rappelle que, dans l’Islam, toute manifestation ostentatoire par les actes ou l’apparence physique est interdite, et le fait de mettre en avant son rang social par le biais d’un objet traditionnel ou rituel conçu pour la purification physique et spirituelle « est mauvais », déclare-t-elle.
Interpeller par l’objet
C’est d’ailleurs ainsi qu’elle comprend son invitation à participer à cette exposition basée sur le thème du traumatisme créé par les narratifs coloniaux et les problèmes environnementaux : « Mon travail n’a peut-être pas l’air directement en lien mais je vois une relation intéressante. Je ne suis pas née au Canada et je ne peux donc pas commenter sur le colonialisme. Mais le sujet me parle : les colonialistes, chrétiens, pensaient que leur interprétation de leur religion leur donnait le pouvoir de contrôler les peuples indigènes. C’est le lot quotidien au Moyen-Orient, dans le sens où le pouvoir religieux est exploité par des gens ordinaires et non uniquement par des leaders religieux. Mon art dans cette exposition critique cet aspect de telles structures. » Pour elle, chacun se doit d’apprendre pour sans cesse avoir une conversation autour des valeurs sociales afin de pouvoir remettre en question leurs valeurs inhérentes. « Je ne suis pas une personne religieuse, mais de vivre dans cette partie du monde et ayant conscience du rôle si important que la religion y joue, je vois un intérêt dans certains rituels quotidiens. Cependant, avec le temps, ces pratiques ont été détournées et ont perdu toute valeur significative »,
précise l’artiste.
Faire une pause et réfléchir au message
Aujourd’hui, les aftabehs ne sont plus utilisés depuis l’arrivée de l’eau courante dans les maisons iraniennes. Cependant, Mitra a choisi cet objet pour matérialiser et dénoncer le problème culturel qui perdure, en se l’appropriant : en sus des formes et calligraphies islamiques traditionnelles, elle a choisi d’ajouter des citations du Coran ainsi que des poèmes portant sur le problème qu’elle dénonce; ils révèlent ces travers et invitent en échange à agir avec bienveillance et compassion. « Ces textes se sont effacés mais certains mots et bouts de phrases ont survécu, ce qui donne au spectateur des indices pour les inviter à explorer l’idée générale », explique Mitra Mahmoodi. À ce sujet, Nan Capogna « espère que les visiteurs prendront le temps de réfléchir sur ce message délicat, en particulier dans le contexte tourmenté du monde actuel. »
Informations complètes sur le site www.richmondartgallery.org