« Quand je pose la question à mes étudiants, quel est le premier nom d’artiste qui vous vient en tête ? Ils disent généralement Monet, Van Gogh ou Magritte. Et je réponds, attendez, j’ai dit artiste, je n’ai pas dit artiste masculin. Nous associons toujours les artistes masculins à la grandeur de l’art historiquement. Et ça fait partie des schémas que je désire casser, » explique Efrat El-Hanany, professeure à l’Université de Capilano.
La spécialiste de la Renaissance italienne, membre du département Women and Gender Studies (Études sur la femme et le genre) à l’Université de Capilano, qui a donné de nombreuses conférences sur ces figures féminines oubliées à l’Université Simon Fraser, propose cette fois de redécouvrir des artistes oubliées du Paris du 19e siècle.
« Le 19e siècle a été une période où des femmes artistes du monde entier convergeaient à Paris. Elles ont créé cette extraordinaire communauté féminine travaillant ensemble. Certaines étaient colocataires ou partageaient un studio d’art. Le plus incroyable est que les femmes aient été oubliées ! Tout comme Artemisia Gentileschi pendant un moment ! Il était difficile pour la fille d’Orazio d’obtenir une reconnaissance », s’écrie Efrat El-Hanany.
La conférence se concentre sur quatre femmes européennes en particulier. Elle présente Marie Bracquemond, Française, tenue à l’écart de la peinture et des « gens de mauvaise vie » par son mari, Marie Bashkirtseff, Russe avec des origines aristocratiques, dont le journal était déjà populaire au 19e siècle et traduit en différentes langues, Louise Breslau, Allemande, récipiendaire de nombreux prix, comme ses comparses et enfin, Amélie Beaury-
Saurel, Française, femme de Pierre Louis Rodolphe Julian, fondateur de l’Académie Julian, une école d’art pour femmes.
« Malheureusement, il y a aussi eu une rivalité entre artistes féminines pour obtenir plus de reconnaissance. Marie Bashkirtseff et Louise Breslau étaient de grandes rivales par exemple », déplore Efrat El-Hanany.
Des artistes reconnues en leur temps
« Ces femmes sont centrales, non seulement parce qu’elles peignaient bien mais aussi parce qu’elles ont fait partie du changement des mouvements tels que l’impressionnisme, les post-impressionnistes et autres », explique Efrat El-Hanany.
Si on évoque souvent l’Américaine Mary Cassatt ou encore Berthe Morisot, Efrat El-Hanany met aussi en avant Rosa Bonheur : « Elle fait partie des figures qui ont pavé le chemin pour les femmes artistes à l’époque. Elle a reçu des récompenses dans la catégorie féminine, et non dans une catégorie générale. Ces artistes n’étaient pas considérées de la même façon que leurs homologues du sexe opposé. »
Les écoles d’art, l’Académie Julian et l’Académie Colarossi, ont joué un rôle prépondérant dans la reconnaissance de ces figures artistiques de l’époque, selon la conférencière. Au début, elles proposaient des cours mixtes mais les modalités ont vite changé car perçues comme inappropriées et heurtant les valeurs morales. Ces académies offraient une éducation académique complète en donnant aux femmes artistes accès aux nus masculins, mesure incroyable pour l’époque.
Puis mises de côté
Malheureusement, ces avancées en matière d’égalité ont connu un recul par la suite en voyant ces artistes tomber aux oubliettes. Pour Efrat El-Hanany, il y a plusieurs raisons à cette situation.
D’une part, la professeure explique qu’elles possédaient beaucoup moins de libertés que les hommes, notamment celle de circuler librement : « Ces femmes avaient souvent des chaperons et n’étaient pas autorisées à sortir seules. » La conférencière évoque également l’accès à l’éducation, différent de celui des hommes.
Étant moins reconnues, elles allaient aussi souffrir d’avoir moins de mécènes. Selon Efrat El-Hanany : « Si un homme était reconnu à cette époque, il bénéficiait également des retombées financières de cette promotion et pouvait réinvestir ces fonds. La qualité était associée aux artistes masculins. Jusqu’à aujourd’hui, quand un collectionneur d’art voudrait investir, il penchera toujours pour des artistes hommes en raison d’une rentabilité plus élevée. » Enfin, elle avance leur absence des ouvrages historiques pour justifier cet oubli : « Tous les livres d’histoire de l’art se concentrent sur les artistes masculins. »
Et aujourd’hui ? « Il y a toujours des luttes féministes à mener, notamment contre les violences domestiques par exemple. Évidemment, les choses ont changé : les livres d’histoire le reconnaissent mais surtout, les institutions ont changé et c’est l’avancée majeure par rapport au 19e siècle. »
Cet évènement gratuit est à découvrir en ligne le 22 septembre au département des Arts libéraux de l’Université Simon Fraser.
Pour s’inscrire : www.eventbrite.ca/e/forgotten-talents-women-artists-in-19th-century-paris-registration-167679408625