Le festival littéraire Vancouver Writers Fest accueillera trois célèbres écrivaines françaises lors d’un événement qui se déroulera en ligne le 20 octobre. Anne Serre et Elisa Shua Dusapin se livrent sur leurs œuvres respectives qu’elles présenteront lors de l’événement intitulé Entre Nous.
Anne Serre et Elisa Shua Dusapin, sont deux auteures talentueuses au parcours bien différent ! L’une, romancière endurcie avec une quinzaine de livres et un prestigieux prix Goncourt au compteur. L’autre, jeune écrivaine prodige à la vie partagée entre Paris, Séoul, en Corée et Porrentruy, en Suisse. Elles partagent pourtant cette même flamme pour l’écriture : cet univers où elles peuvent laisser libre cours à leurs émotions.
De cet espace intime, elles ont fait ressortir deux bijoux : Les débutants né de la plume de la première, Un hiver à Sokcho de celle de la seconde. Invitées le 20 octobre prochain au Vancouver Writers Fest, les deux auteures décrypteront leurs romans, en compagnie de Valérie Perrin, qui présentera elle aussi son ouvrage.
L’intimité au cœur du roman
Si les livres d’Anne Serre et d’Elisa Shua Dusapin sont bien distincts, ils racontent tous deux le bouleversement intime causé par une rencontre fortuite. Dans Les débutants, Anne Serre suit le tsunami émotionnel que vit Anna Lore lorsqu’elle s’éprend d’un autre homme que son mari, qu’elle aime pourtant passionnément. « Elle voudrait vivre avec ses deux hommes mais eux ne veulent pas. Ils veulent qu’elle choisisse », explique l’auteure. Et de continuer : « Je voulais montrer qu’on peut aimer deux êtres en même temps, avec la même vérité, la même puissance ».
Quant à Elisa Shua Dusapin, elle transporte les lecteurs jusqu’en Corée du Sud. Dans la petite ville portuaire de Sokcho, une jeune femme franco-coréenne qui n’a jamais mis les pieds en Europe rencontre un auteur de bande dessinée français. « Un lien va se créer entre ces deux personnages qui ne parlent pas la même langue et qui vivent aux antipodes de la planète. Au fil de ces rencontres ténues va se créer une évolution intime et fondamentale pour chacun des personnages », résume l’écrivaine.
Succès fulgurant
Lorsqu’Elisa Shua Dusapin publie son premier roman, Un hiver à Sokcho, une vague médiatique se déferle sur la jeune écrivaine, à l’époque âgée d’à peine 23 ans. Les prix littéraires affluent, tant du côté suisse que français. Le président Emmanuel Macron l’invite même à l’Élysée. Une immense surprise pour la jeune femme qui n’a jamais eu l’ambition d’être auteure.
« Ça m’a pris sept ans pour écrire le roman. J’ai commencé à rédiger les premiers jets au lycée. Et pendant un an et demi, j’ai laissé le manuscrit traîner dans un tiroir. Un jour, un ancien prof m’a dit qu’il fallait l’envoyer à un éditeur », raconte-t-elle. Dès la publication du roman, tout s’enchaîne très vite, à tel point que l’auteure se voit contrainte d’arrêter ses études pour continuer la promotion de son livre.
Soudainement projetée sous les feux des projecteurs, Elisa Shua Dusapin a vécu ce succès avec difficulté. « Parfois, je me suis sentie tellement vidée que je n’avais même plus envie d’écrire. Ce n’est pas du tout ma personnalité de me mettre en avant, d’être prise en photo, de parler à la radio, à la télévision… Tout d’un coup, on a créé une image de personnalité publique dans laquelle je ne me reconnaissais pas du tout », révèle-t-elle.
Écriture libératrice
Les deux auteures ont puisé dans leurs expériences personnelles pour rédiger leurs œuvres. Elisa Shua Dusapin raconte que son roman s’est nourri de sa quête d’identités culturelles. Elle s’est notamment inspirée de ses premiers périples en Corée du Sud. Ces « voyages initiatiques » l’ont amenée à se questionner sur une cohérence entre ses trois cultures, celle de sa mère – sud-coréenne – celle de son père – français – et celle du pays dans lequel elle vit aujourd’hui – la Suisse.
« J’ai grandi avec le sentiment de n’être nulle part chez moi. En Europe, j’étais l’Asiatique et en Asie, l’Occidentale », se confie-t-elle. Tout au long de l’écriture de son livre, la jeune femme espérait ainsi trouver des réponses à son questionnement existentiel. C’était aussi une manière de maintenir un lien avec la Corée : à mesure qu’elle grandissait et qu’elle perdait la langue, elle sentait que le pont avec cette culture se coupait.
Quant à Anne Serre, elle explique que son roman est né au moment où elle est elle-même tombée amoureuse de deux hommes qui l’ont contrainte à faire un choix. Prise au piège, l’auteure a trouvé son salut dans l’écriture. « Puisque dans la vie je ne pouvais pas choisir, je me suis dit que c’était le livre, ce que j’allais raconter, qui déciderait de ma vie amoureuse. Au final, j’ai suivi le choix qu’a fait mon personnage », révèle-t-elle.
Une situation bien particulière où la fiction dépasse la réalité. La romancière ajoute d’ailleurs : « Chez certains auteurs, leur destin se joue plus dans leur livre que dans la réalité. C’est comme si l’écriture décidait de leur existence plutôt que leurs réflexions et décisions dans la vie réelle ».
De nouveaux horizons
La récente traduction des deux ouvrages en anglais ouvre de nouvelles portes pour les auteures qui entrent pour la première fois sur la scène littéraire canadienne anglophone. Une nouveauté qui réjouit les deux écrivaines, ravies de parler à un nouveau public. « Ce qui m’intéresse dans une rencontre, c’est de dialoguer avec l’autre, que ce soient des journalistes, des auteurs ou des lecteurs. Je suis toujours curieuse d’entendre une autre manière de penser que la mienne », exprime Anne Serre.
Elles voient également cette percée comme l’occasion d’avoir un échange mutuel entre deux styles d’écriture. Selon Anne Serre, la littérature française est généralement plus intimiste. « Il y a un souci de soi peut-être plus développé et inquiet en France », commente-t-elle. Quant à la littérature nord-américaine, Elisa Shua Dusapin la qualifie plutôt d’« efficace », pleine de rebondissements, avec une tendance à mettre l’action des personnages au centre.
L’auteure franco-coréenne finit en soulignant l’importance pour le Canada de découvrir de nouvelles littératures, hors des frontières nationales. « Lire des textes qui viennent d’autres cultures, c’est ouvrir des portes pour entrer intimement dans un autre regard », conclut-elle.
Plus d’information sur www.writersfest.bc.ca