À l’occasion du court voyage de William Shatner dans la stratosphère et son retour sain et sauf sur terre, il y a moins de deux semaines de cela, je ne cesse, depuis, de lever des yeux admirateurs vers l’espace, en tentant de comprendre ce qui s’y passe. Notre vénérable nonagénaire canadien, héros de la série télévisée Star Trek (patrouille du cosmos au Québec) a prouvé qu’à cœur vaillant rien d’impossible si vous êtes en bonne santé et ne manquez pas de souffle ou de témérité. À la limite, je pourrais moi-même envisager de faire le voyage. Pour ce faire j’aurais besoin d’un mécène qui, plutôt qu’en Dieu, croirait en moi afin de subventionner les frais de
ma bravoure.
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », s’était exclamé Danton, un des pères de la Révolution française. À mon tour de répondre, en écho, sans désir toutefois de terminer comme lui sous la guillotine : « Plus haut, encore plus haut, toujours plus haut ». En gros c’est ce que les nations, pratiquement sans relâche, ont tenté d’accomplir depuis le lancement par les Russes en 1957 du premier satellite Spoutnik marquant le début de l’ère spatiale. Il est vrai que Jules Verne et Tintin, par la fiction, les avaient devancés.
S’en sont suivi plusieurs faits marquants : un homme a marché sur la lune, des sondes ont été envoyées sur Mars, une Station spatiale internationale (SSI), continuellement habitée, tourne désormais en orbite (pas pour longtemps encore, je crois comprendre). Les Chinois, ne voulant pas être en reste dans leur intention de dominer le monde plutôt que d’être dominés, construisent petit à petit, morceau par morceau, leur propre habitat cosmique. La semaine dernière, une équipe toute fraîche de l’Empire du Milieu a fait le voyage vers cette station, véritable casse-tête, en construction. Les Russes, pour leur part, heureux de narguer les Américains et de faire le pied de nez à Hollywood, ont envoyé une équipe de cinéma sur SSI pour y tourner le premier film enregistré dans l’espace. Après le tournage, retour sur terre, bobines du film en main, bobines de stars ravies. Ceci à la barbe de Tom Cruise qui se voyait déjà le héros à ce chapitre. Certainement il y a de l’action dans l’air. Ne pas oublier les milliers de satellites qui occupent l’espace au-dessus de l’atmosphère terrestre. À l’allure où ça va, bientôt il n’y aura plus d’espace dans l’espace. Un sérieux problème d’embouteillage nous attend. Attention
aux accidents.
Et puis voilà que le ciel s’est maintenant ouvert à l’entreprise privée. Les nations, en particulier les États-Unis, montrant l’exemple, n’osent plus s’aventurer seuls dans de pareilles entreprises. Place aux milliardaires, en quête d’aventures mais aussi désireux de gonfler leurs égos déjà pas mal démesurés, de prendre la relève. La conquête de l’espace les attire au plus haut point. Ne sachant que faire de leur fortune, doivent-ils se dire, autant la jeter en l’air plutôt que d’en faire profiter ceux qui en ont le plus besoin. C’est plus amusant sans doute, car chez ces gens-là, aurait dit Jacques Brel, on se distrait comme on peut.
Mais, comme on n’arrête pas le progrès, je dois éviter de cracher dans la main de ceux qui nourrissent mes rêves. De ces nouveaux Magellan, de ces futurs Vasco de Gama, de ces conquérants à la Christophe Colomb, je n’en connais que trois qui se servent de leurs milliards pour partir à la conquête de l’espace et en faire leur domaine. Ils offrent des voyages de petite durée à ceux qui peuvent se le permettre. Il faut avoir les moyens pour s’envoyer en l’air et surtout s’extirper du plancher des vaches où en ce moment il ne fait pas bon vivre. L’avenir est dans la fuite, semble-t-il.
Ces milliardaires, ces trois larrons en foire cosmique, pour ne pas les nommer, ont pour noms, dans l’ordre atmosphérique, Richard Branson (Virgin Galactic), Jeff Bezos (Blue Origin) et Elon Musk (SpaceX). Tous trois se livrent une course acharnée afin de déterminer lequel de ces audacieux lurons se verra décerner la palme de maître de l’univers spatial. Et que font pendant ce temps les autres milliardaires de cette fratrie à la Caïn et Abel ?
Que font les Bernard Arnaud, les Bill Gates, les Mark Zuckerberg, les Warren Buffett, tous ces milliardaires dont la fortune, d’année en année, ne fait que s’accroître ? Attendent-ils que le ciel leur tombe sur la tête, que leurs égos à eux aussi soient mis sur orbite ? Peut-être sont-ils, tout simplement, dans la lune, dépassés par les événements.
Une fois de plus me voilà pris à contempler le ciel, à admirer l’espace pour enfin me rendre compte jusqu’à quel point mon univers est bien restreint.