Lorsque le 6 janvier 2021 des milliers d’éléments radicaux, disciples de Donald Trump, prirent d’assaut le Capitol des États-Unis, la question qu’avec bien d’autres je me suis posée consistait à savoir si pareil comportement pouvait se passer chez nous au Canada. Ma réponse à l’époque, ainsi que celle des personnes avec qui je m’entretenais, était catégorique : non, impossible. Cela ne fait pas partie de notre ADN.
Un an et un mois plus tard, en observant les protestations des camionneurs, venus de tous les coins du pays à Ottawa le dernier week-end de janvier, je suis bien obligé de remettre en question mon jugement. Loin de moi l’idée de mettre tous les camionneurs canadiens dans la même remorque. Tous ne véhiculent pas la même idéologie. Tous ne font pas partie de ce « convoi de la liberté » maladroitement nommé par ceux qui s’opposent à la vaccination obligatoire des camionneurs traversant nos frontières avec les États-Unis. Parmi les 160 000 chauffeurs de poids lourd au Canada, 26 000 ne seraient pas vaccinés. Avouez que c’est peu dans l’ensemble. Ce n’est donc pas à la majorité d’entre eux que j’en veux.
Quand la minorité de camionneurs organise et parle de « convoi de la liberté », de quelle liberté est-il question ? Celle de contaminer la majorité de la population ? Celle de faire durer la pandémie en refusant de se faire piquer ? Celle d’imposer aux personnels des services de santé davantage de stress au travail ? Celle d’imposer des idées saugrenues basées sur des théories du complot qui scientifiquement ne tiennent pas debout ? Que des gens mécontents envers certaines décisions gouvernementales, manifestent leur opposition, leur désaccord, rien de plus légal, de plus normal, je dirais même de plus logique. Là-dessus rien à redire. Lorsque ces mêmes camionneurs brandissent des drapeaux confédérés d’Amérique ou d’autres avec croix gammée, affichant publiquement leur racisme et leur affiliation à l’extrême droite, on est en droit non seulement de remettre en question leurs intentions mais primordialement d’intervenir car, comme toute bonne chose, la liberté a ses limites surtout quand au nom de cette soi-disant liberté on en prive les autres.
Qu’est-ce qu’on voit dans ce convoi ? Ce qu’on voit ce sont des individus qui convoitent le pouvoir, qui véhiculent la haine. Le moteur, le chef de file de ce convoi des camionneurs apôtres de la non vaccination, n’est autre qu’un certain Patrick King, cofondateur du Parti Maverick qui préconise la séparation des provinces de l’Ouest du reste du Canada en plus de défendre la théorie, très à la mode ces jours-ci, du « grand remplacement »,
un courant qui se répand rapidement. Selon cette théorie, les musulmans tenteraient en douce de remplacer petit à petit les Blancs en Occident.
En confidence, pour tout vous dire, je ne verrais pas cela d’un mauvais œil si des musulmans progressistes et éclairés, la grande majorité, venaient à remplacer des Blancs fascistes, nazis, d’extrême droite du type Patrick King. Que ceci reste entre nous évidemment. N’en dites rien à certains membres et députés du Parti conservateur qui soutiennent avec véhémence, sans réserve, les camionneurs du « convoi de la liberté à dire et faire n’importe quoi, pourvu qu’on nous laisse répandre des fausses nouvelles en toute impunité ». Poussé dans le fossé, non pas par les camionneurs mais par la frange très à droite et féroce de son Parti, Erin O’Toole, l’ex chef, haletant, hésitant, doit se dire, à l’image de Charlie Hebdo « Que je suis content de ne pas être aimé par des con…servateurs, ardents supporteurs de ces con…vois à Ottawa »
Mais il est temps de passer aux choses sérieuses avant de m’engager, grâce à mon écran de télé, sur les pistes troubles des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin. En ce sens, je tiens à offrir, gratuitement je le précise, dix importants commandements aux camionneurs du « convoi de la (prétendue) liberté », qui aimeraient faire amende honorable :
- Ne vous laissez pas dépasser par les événements
- Comprenez l’essence du besoin d’être vacciné
- Mettez un frein à la poussée de l’extrême droite
- Évitez de regarder dans votre rétroviseur si vous voulez comprendre d’où vous venez
- Ne blâmez pas l’essieu en cas d’échec de votre projet
- Embrayez sur un autre sujet dès que vous le pouvez
- Changez de vitesse si vos intentions ne tiennent pas la route
- Appuyez sur la pédale de l’accélérateur si vous êtes sur la bonne voie
- Prenez le volant de votre avenir entre vos mains
- Abandonnez votre siège si la transmission du savoir ne se fait pas
Dernier conseil, publicité mise à part, aux camionneurs du « convoi de la liberté (d’enquiquiner) » : en cette nouvelle année lunaire du calendrier chinois, n’oubliez pas de mettre un tigre dans votre moteur.