Peut-on rire de tout ? Suite à l’incident survenu au cours de la dernière soirée des Oscars qui, malgré sa continuelle baisse de popularité, s’est arrangée pour faire parler d’elle au détriment de sujets d’actualité beaucoup plus importants, la question de savoir si on peut rire de tout est revenue une fois de plus sur le tapis. De triste mémoire, souvenez-vous, elle s’était posée, à un tout autre degré il est vrai, lors de la publication des caricatures de Mahomet par le magazine Charlie Hebdo dont nous ne sommes pas prêts d’oublier les conséquences. Elle s’est donc de nouveau mise sur la sellette, comme déjà mentionné, lorsque Will Smith a giflé le comédien Chris Rock alors que ce dernier a sorti une plaisanterie de mauvais goût en se moquant de la femme de celui qui finit par gagner l’Oscar de la meilleure interprétation masculine pour le film King Richard (La méthode Williams en français). Ce violent écart de la part de Will Smith a été fortement décrié. Lui-même a finalement reconnu que son geste était déplacé et n’avait pas sa place dans un monde où chacun devrait vivre en paix. Ce ne sont pas les Ukrainiens qui vont démentir cette vedette qui nous a fait son cinéma.
La question demeure : Peut-on rire de tout ? Ou, pour être plus précis, est-ce que tous les sujets, quels qu’ils soient, peuvent être l’objet de plaisanterie ? Y-a-t-il des sujets intouchables, des sujets tabous comme par exemple la religion, les orientations sexuelles, les questions raciales, certaines conditions physiques et que sais-je encore, qui ne prêtent pas à rire ? Si vous êtes humoriste et que de se moquer de tout et de rien représente votre gagne-pain, que votre spectacle consiste à déballer une série d’insultes afin de faire rire la galerie, il va sans dire que tout interdit représente une forme de censure allant à l’encontre de la liberté d’expression. Pour ces professionnels du rire, l’humour ne doit pas avoir de limite. Si des boxeurs peuvent, dans la plus grande légalité et brutalité, se donner des coups à volonté sur un ring, pourquoi un spectacle où les mots eux aussi font mal, blessent et choquent devrait-il être interdit ? De la même façon on ne peut m’obliger à rire d’une blague, qu’elle soit désobligeante, diffamatoire ou raciste. La loi protège les victimes de ces sortes de dérive. La question pour un comédien est donc de savoir quelles sont les limites qu’il ne peut franchir s’il tient à voir son public se tordre de rire.
Les temps changent. Le politiquement correct, au désarroi des partisans de la liberté d’expression à tout prix, a pris le dessus de nos jours. Il n’y a pas si longtemps de cela, si vous vouliez faire rire votre entourage, les blagues sur les Terre-neuviens ou sur les Belges étaient de bonne guerre. Aujourd’hui je n’entends plus de blagues de ce genre ou celles visant des groupes ethniques. Elles sont passées de mode ou, plutôt, elles sont considérées de mauvais goût et inappropriées. En ce sens il y a du progrès. Nous avons été forcés de faire preuve de davantage de subtilité et de discernement si nous désirions faire rire.
Tout ça pour en venir à dire qu’il n’y a pas grand-chose actuellement qui me donne envie de rire de bon cœur. Même les blagues les plus courtes qui devraient être les meilleures n’enclenchent pas chez moi un fou rire. On peut bien rire de tout mais, par les temps qui courent, suite à l’invasion de l’Ukraine et la réélection de Viktor Orban en Hongrie ainsi que la possibilité de l’élection de Pierre Poilievre à la direction du Parti conservateur du Canada ou de Marine Le Pen à la présidence française, je dois avouer qu’il n’y a plus rien du tout qui me fait rire. Même la petite plaisanterie du Pape François qui, recevant plusieurs délégués canadiens des Premières Nations, en plaisantant, a cru bon de préciser qu’il était prêt à se rendre au Canada prochainement à condition que ce ne soit pas en hiver, n’a pas engendré chez moi le fou rire escompté. Je n’aime pas, sous aucune raison, qu’on se moque de nos saisons.
J’ai beau croire que le rire soit contagieux, cela ne m’empêche pas de constater que la COVID-19 l’est aussi. Certains rigolos, désireux de me consoler, me diront qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Je ne suis pas de leur avis : après tout, à bien y penser, quitte à me faire critiquer, on ne peut pas rire de tout.
En lisant cette chronique, qui ne tenait pas à vous faire mourir de rire, vous devez vous demander s’il s’agit du lard ou du cochon ou, mieux encore, si vous avez affaire à un pince-sans-rire qui mérite d’essuyer un sérieux camouflet.