Le documentaire Bigger Than Us (Vivre en grand) est présenté au festival du film pour jeunes de Vancouver Real 2 reel qui se tient du 3 au 13 avril en version hybride.
Ce film de la journaliste française Flore Vasseur suit l’activiste environnementaliste indonésienne Melati Wijsen, 18 ans (au moment du tournage), partie rencontrer d’autres défenseurs des grands enjeux contemporains, et qui eux aussi ont maille à partir avec le statu quo. Entretien avec la réalisatrice, activiste également en ce qu’elle s’attache à mettre au cœur de son travail : les lanceurs d’alertes, les personnes habitées par un sens profond de la justice, une réflexion sur la gouvernance.
Des figures activistes représentatives de la jeunesse
« Quatre-vingts pour cent de la jeunesse mondiale aujourd’hui n’habite pas en Occident. » Flore Vasseur est partie de ce postulat pour sélectionner les personnes qu’elle a voulu faire intervenir à l’écran pour « être représentative de la jeunesse mondiale », à qui ce film est avant tout destiné.
Après « un travail journalistique de longue haleine » et l’identification de 80 noms, la sélection s’est arrêtée sur six jeunes « indéboulonnables dans leur engagement » attestant de « résultats très concrets » et non « dans le discours ». Plusieurs d’entre eux, à l’image de Melati Wijsen, ont d’ailleurs réussi à faire changer des lois dans leurs pays. Leurs luttes respectives portent sur le climat, la liberté d’expression, la justice sociale, l’accès à l’éducation et l’alimentation, « des combats universels et des grands enjeux contemporains », explique-t-elle. De plus, elle voulait que ces jeunes incarnent une vision du monde dont pourrait s’inspirer son fils, l’un des éléments déclencheurs du film, et lui montrer « comment (il) peut vivre » sa quête de sens quant au
changement climatique.
Garder la caméra tournée vers l’espoir
Après avoir découvert Melati Wijsen dans une vidéo TED Talk, Flore Vasseur a réalisé un premier documentaire sur son action pour réduire la pollution plastique en Indonésie. La jeune fille lui ayant partagé éprouver un certain épuisement mental, la Française lui a proposé « d’aller à la rencontre de personnes comme elle, qui essaye de faire bouger les lignes tout en lui montrant que c’était massif et diversifié : la même bataille », raconte-t-elle, une proposition qui « correspondait à sa quête d’alliance ».
« Vu le niveau d’urgence dans lequel ils sont, ils ne sont même pas dans le débat d’idées, ils font tout ce qu’ils peuvent pour survivre et aider ceux autour d’eux à survivre. » Elle décrit d’autre part ces jeunes comme des « génies ». « Le génie de l’enfance, pour moi, c’est quelque chose qu’on a tous, et puis qu’on abandonne, plus ou moins, qui repose sur deux attitudes. La première c’est une question : pourquoi, pourquoi est-ce comme ça ? Toujours questionner le monde pour comprendre et vouloir le comprendre. Malheureusement cette capacité à se questionner est attaquée de plus en plus tôt. Et la deuxième chose est : c’est pas juste. Et la plupart des lanceurs d’alerte que j’ai rencontrés sont incapables de renoncer à ce “pourquoi” et à “c’est pas juste.” »
Un troisième trait que l’on peut leur attribuer est d’être habité par l’envie d’aider. « Aider me rend heureuse », dit Winnie qui combat l’insécurité alimentaire en Afrique. Ils trouvent la joie et la liberté dans leurs combats.
Le film n’est pas pour autant tout rose et sans aspérités. Certaines séquences racontent sans détour l’horreur de certaines traditions africaines par exemple, révélant les risques qu’encourent ces jeunes dans leurs actions et plongeant ainsi le spectateur dans la réalité de leurs combats. Cependant, si Flore Vasseur confie en entrevue que certains de ces jeunes ont connu l’épuisement mental, tous étant engagés en moyenne depuis une dizaine d’années, son parti pris de réalisatrice était de montrer essentiellement l’énergie de ces jeunes et ce qu’ils en retirent, leur moteur. « J’ai compris en faisant ce film que le fait de se sentir vivant était un ressort profond de l’engagement et que précisément on est dans une société qui nous décourage de cela. On nous dit : il faut que tu aies peur, que tu t’isoles des autres. » Or pour ces protagonistes, « en se mettant dans cette position de survivre, non seulement ils ont survécu mais ils ont emporté les personnes autour d’eux. Tout à coup vous êtes en lien avec les autres, avec votre époque, et c’est ça qui rend joyeux. Le film parle des multiples vertus du fait de chercher des ressorts en soi pour réparer ce qu’il y a à réparer et aller vers les autres. » Elle résume en parlant de cohérence et d’utilité.
Réparer, changer, créer un nouveau monde ou de nouveaux liens ?
Cependant, cette conscience du chemin à parcourir se heurte à l’absence de dialogue avec leurs parents. Pour Flore Vasseur, c’est plus difficile pour eux encore que l’éco anxiété, dont on parle beaucoup chez les jeunes. « Ce que j’entends beaucoup de la part des élèves (en promotion du film et notamment les projections aux écoles) c’est : on ne me parle jamais de ça. Beaucoup d’enfants m’ont dit qu’ils ne parlaient jamais de ça avec leurs parents et j’ai l’impression que c’est ça qui cause ce décrochage. »
Ce film est donc aussi pour les adultes. Flore Vasseur réussit le tour de force de faire le lien entre les générations, elle lance le dialogue. « C’est ça qui est à restaurer. » À ce sujet, cette passerelle possible qui n’était pas dans le script, s’est révélée en promotion grâce au rôle essentiel des professeurs qu’elle qualifie « d’alliés magnifiques » pour la diffusion de ce message. « La prise en main est massive » selon elle et elle invite le corps professoral de Vancouver et d’ailleurs à « s’emparer du film pour aider les élèves dont ils ont la charge. »
C’est donc un film qui, quoiqu’il dénonce et révèle de sombres pans de notre société, donne courage, voire galvanise. La protagoniste semble bénéficier d’un regain de motivation à chaque rencontre, par le tissage d’une sorte de communauté de destin, qui ruisselle sur le spectateur. C’est une invitation à faire preuve d’un engagement plus grand que soi, pour défendre un futur digne, le sien quel que soit son âge, et celui des futures générations. C’est un film qui, par l’entremise de ces jeunes, outre l’invitation à agir, montre comment mieux vivre en ce sens où chacun peut « s’accomplir par ce qu’il accomplit » comme le dit un sage indien cité par la journaliste.
Informations complètes sur le site du festival www.r2rfestival.org