Face à un début de mois plutôt pluvieux alors que le soleil a décidé de nous bouder, je me suis souvenu du dicton : en mai fais ce qu’il te plaît. Eh bien ! Voilà; en mai ce qui me plaît c’est de parler de la pluie et du beau temps. Ceci m’évite de me chamailler avec qui que ce soit.
Quand il vous arrive de rencontrer des gens, comme ça, dans la rue, de quoi parlez-vous ? De la pluie et du beau temps, évidemment. Quand vous n’avez rien à dire à votre interlocuteur, à quel sujet vous accrochez-vous afin de combler cette lacune ? À celui qui vous vient immédiatement en tête : la pluie et le beau temps. Quand les candidats à la chefferie du Parti conservateur se côtoient dans les coulisses avant de s’insulter et de se déchirer durant un débat télévisé, quelle peut bien-être la teneur de leurs propos ? Je suis prêt à parier, car j’en suis convaincu, qu’ils parlent de la pluie et du beau temps. Une fois au pouvoir, que fait un dictateur ? Contre votre gré, sans état d’âme, sans aucune gêne, il fait la pluie et le beau temps.
Ainsi, la pluie et le beau temps servent de passe-partout dans les conversations et, plus souvent qu’autrement, se mettent au service des nombreux autocrates dont on pourrait se passer. Toujours est-il que la pluie et le beau temps sont des éléments essentiels de notre quotidien. Tous deux dépannent, font rêver, occupent l’esprit, dominent les bavardages, exorcisent nos malaises existentiels, distraient des aléas de la vie, influencent nos comportements, nous protègent de questions embarrassantes, nous servent de souffre-douleur; ce sont de parfaits bouche-trous.
Imaginez un voisin avec qui vous ne partagez pas, mais alors pas du tout, les mêmes idées, surtout celles ayant trait aux questions économiques, politiques et religieuses mais qui a la bonté d’arroser vos plantes et de vous prêter ses outils de jardinage à l’occasion; comment allez-vous vous comporter à son égard ? Si je me mets à votre place, je ferais tout pour éviter les sujets épineux, ceux susceptibles d’engendrer un désaccord irréparable. Ainsi je ne vois pas d’autres solutions que de parler de la pluie ou du beau temps. À la limite, dépendant de la saison et des circonstances météorologiques, je vous inviterais, de manière prudente, à échanger quelques remarques sur les possibilités d’intempéries ou sur la sécheresse qui ravage la région. Par contre, je vous suggère de ne pas trop élaborer sur le sujet car la possibilité de discorde existe toujours : qui est responsable de ces fléaux ? Que font les gouvernements pour pallier ces phénomènes ? Les changements climatiques, vous y croyez ? Ne pensez-vous pas qu’ils ont bon dos ?
Toutes ces questions doivent être évitées à tout prix. Tenez-vous à l’essentiel : la pluie et le beau temps. « Vous avez vu, il a beaucoup plu cette nuit » – « Ah, oui. Tiens, je n’ai rien entendu » – « Chanceux, vous avez un sommeil profond, moi au contraire, je souffre d’insomnie ». Je vous conseille d’arrêter là si vous ne voulez pas que la conversation s’envenime et dégénère en « J’irais bien en parler à mon docteur mais je n’en ai pas, comme 900 000 personnes en Colombie-Britannique qui ne peuvent se trouver un médecin de famille dans une des provinces les plus riches au Canada. Inadmissible. Impensable ». Évitez donc ce piège. Contentez-vous de la banalité que puisse apporter une discussion sur la pluie et le beau temps.
Si Sergei Lavrov, le chef de la diplomatie russe s’était contenté, suite à mes conseils, de parler de la pluie et du beau temps, au cours d’un entretien accordé à la télévision italienne, plutôt que de soulever la polémique, en allant déclarer, je simplifie, qu’il ne pensait pas se tromper en avançant que Zelenski était un nazi parce qu’Hitler, par un de ses aïeux, était juif tout comme le président ukrainien. Vous parlez d’un amalgame. Tant qu’à faire, avec pareil syllogisme, Lavrov aurait pu pousser cette logique à l’absurde en déclarant notamment que, puisque juif, Jésus serait lui aussi un nazi. De quoi vous secouer, de quoi vous ébranler. Bien entendu, c’est calculé, c’est voulu, c’est perfide. « Aimez-vous les uns les autres », à ce que je sache, est loin d’être un slogan nazi et encore moins, semble-t-il de nos jours, le leitmotiv du gratin poutinois. Il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de l’autocratie russe, aurait écrit Shakespeare s’il vivait parmi nous.
Mais là je m’égare. J’oublie la brebis galeuse et reviens à mes moutons avec un souhait : pas de pluie, que du beau temps. Somme toute, nous sommes en mai.