Qui étaient les artistes inuits de la collection d’objets privée donnée au Musée de la Mer de Vancouver par Arthur Laing, ancien ministre des Affaires du Nord et des Ressources naturelles dans les années 70 ? Comment avait-il acquis ces biens culturels ?
Ces questions sont au cœur de l’exposition Tapestry of Change (Tapisserie du changement) présentée par le Musée de la Mer. Quelques éléments de réponse avec la commissaire intérimaire Mary Elizabeth Harrison, à l’initiative du projet.
En 1975, le ministre Arthur Laing avait fait don au musée de la mer de Vancouver de 52 objets inuits comprenant des imprimés, des textiles, des sculptures et un kayak. En raison de sa mort la même année, les informations sur ces pièces, telles que l’origine de ces acquisitions ou l’identité des auteurs, qui avaient peu ou prou été consignées par écrit, ont également disparu. À l’heure de la Réconciliation, le musée signale une volonté de répondre aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation sur l’art des peuples autochtones et inuits.
Retisser le récit
Bien que le musée possède et expose en partie ces objets depuis plus de trente ans, Mary Elizabeth Harrison a conçu « Tapisserie du changement » pour soulever « des questions transparentes » sur l’acquisition de biens culturels ou artistiques inuits pendant la période coloniale. « Comment cette collection est-elle arrivée ici ? Qui étaient les artistes ? Quels étaient les enjeux socio-politiques de l’époque ? », a-t-elle cherché à savoir. Elle ajoute avoir voulu trouver ces réponses pour offrir « une nouvelle perspective et rendre hommage à ces objets. » Sur le titre, elle indique que c’est lié aux matériaux des objets exposés, au nombre de six, « de type tapisserie et des imprimés : des tentures murales, des macramés, etc. » et que le mot changement fait référence au changement de récit qui porte désormais moins sur le ministre et davantage sur les objets. « Bien que notre nom suggère une thématique centrée sur la mer et Vancouver, notre mandat s’étend également à l’Arctique et les voies maritimes pacifiques au sens large. Une partie de notre approche de conservation porte à présent sur une vision moins coloniale », explique la commissaire.
Tels des canevas vides, la grande majorité des objets de la collection n’avaient aucune étiquette, aucun nom ou toute autre information tangible pouvant permettre de retrouver l’artiste et son lieu d’origine. La commissaire s’est alors tournée vers Sue Rowley, anthropologue au département d’anthropologie de l’Université de Colombie-Britannique et directrice du musée d’anthropologie de Vancouver, en raison de son expertise de l’art arctique. Durant sept à huit mois, elles ont conduit des recherches en ligne sur Internet, dans les journaux académiques, dans les archives de conservation, réalisé des entrevues, exercé « un raisonnement déductif », consulté d’autres musées et membres de communautés inuits, travaillé sur les styles artistiques, en tâchant de comprendre le contenu de l’œuvre, rapporte-t-elle. « Il y a tant [de sources] et pas assez ».
Revoir le passé et prévoir le futur
Au terme de cette enquête, elles ont pu remonter jusqu’aux lieux de confection des œuvres et trouver le nom des artistes, mais aussi trouver les réponses concernant leurs acquisitions. En outre, que celles-ci avaient, semble-t-il, été achetées, ce qu’elles ont pu déduire grâce à une mesure fédérale de classification de l’art inuit instaurée au milieu du siècle dernier. « On ne nous a pas donné de reçus, mais les notes du donateur et ce que nous avons trouvé par nos recherches, [indiquent] qu’elles ont été vendues. Elles ont été fabriquées et vendues sous la marque commerciale officielle de l’igloo et du kayak », révèle-t-elle, mesure mise en place en 1958 par le gouvernement fédéral qui avait pour but de distinguer l’art inuit vendu par des détaillants autorisés. « L’un des objets a d’ailleurs toujours l’étiquette avec le nom de l’artiste. Si les objets avaient été acquis autrement [que par l’achat], il faudrait les restituer [à qui de droit]. »
Le tableau d’ensemble ainsi réalisé, le travail du musée est aussi celui de la numérisation des données afin de démocratiser encore davantage le contenu et son « histoire collective », comme le dit Mary Elizabeth Harrison. « Tout le monde n’est pas en mesure de visiter le musée. Numériser la collection permet d’étendre la portée du musée. Internet peut être un très bon moyen de poser des questions [par le plus grand nombre], où le public peut nous aider à retrouver des informations sur un objet », estime-t-elle. « Nous sommes fondamentalement une organisation publique et la numérisation permet au public d’interagir davantage avec des pièces de collection qui sont archivées, et il y en a un très grand nombre. »
L’exposition est à découvrir jusqu’au 2 octobre. Horaires et billetterie sur le site du musée : www.vanmaritime.com