Immédiatement, sans perdre de temps, remettons les pendules à l’heure. Nous n’avons jamais été aussi proches de notre totale destruction, nous prévient le Bulletin of the Atomic Scientists, une revue qui réunit un groupe de scientifiques chargé de gérer l’horloge de l’apocalypse. Selon ce groupe nous sommes à 90 secondes de l’heure fatidique qui, en 1947, fut fixée à minuit. Autrement dit : nous sommes à une minute et demie de notre anéantissement. Du jamais vu.
Nous frisons l’extinction. Le danger est réel. Il est presque minuit docteur Folamour (Strangelove), oserais-je dire si je ne craignais pas de passer pour plus ridicule que je ne le suis déjà. Bien que nous soyons dans la mouise, demeurons sérieux dans la mesure du possible. On peut rire de tout mais pas tout n’est risible aurait pu dire Yogi Berra, le roi des aphorismes. À ce stade-ci, j’essaie de me rassurer en faisant preuve de rigueur tout en reconnaissant qu’un peu d’humour, même mal placé, ne peut nuire.
Au fond, qu’on le veuille ou non, pas question de badiner avec cette horloge qui poursuit, sans relâche, son tic-tac infernal. Je suis un peu sourd d’oreille mais cela ne m’empêche pas de l’entendre « tictacter » tranquillement sans se soucier de ma grandissante inquiétude. Le pendule de l’horloge poursuit menaçant son rythme cadencé. Mon cœur, depuis la dernière mise à jour de la revue scientifique, bat la chamade. Ma tension artérielle connaît des sommets jusque-là jamais atteints. Mon pouls en prend un coup. Comme le moteur d’un vieux tacot il connaît des ratés : Tic-tac…toc, tic-tac…toc, tic-tac…toc. Mon médecin ne va pas être content.
Sans vouloir dramatiser la situation plus qu’il ne le faut et afin de mieux saisir la situation telle qu’elle se présente à mes yeux, la recommandation du centre canadien sur les dépendances et l’usage des substances (CCDUS) de limiter notre consommation d’alcool à deux verres par semaine n’arrange pas les choses; elle ne va pas dans le bon sens. Je ne vois pas pourquoi je me priverais de mon petit verre de vin chaque soir sachant que nous sommes à deux doigts de la fin du monde. Au contraire, sachant que les Cavaliers de l’Apocalypse m’attendent au tournant du coin, j’aurais plutôt tendance à noyer mon chagrin en engloutissant chaque jour un baril du meilleur Côtes-du-Rhône disponible. Le moment de nous annoncer ce virement de parcours alcoolisé est certainement mal choisi. Pendant ce temps, l’horloge qui n’a jamais bu un coup tout en accusant le coup, poursuit sans tact son tic-tac.
Quatre-vingt-dix secondes nous séparent d’une possible annihilation. De quoi s’inquiéter. J’en frissonne. Combien de secondes avant minuit devrais-je compter avant de paniquer ? 30 secondes ? 10 secondes ? le Bulletin ne nous le dit pas. À sa fondation, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’horloge indiquait minuit moins sept minutes. À la fin de la guerre froide, en 1991, la grande aiguille avait reculé de plusieurs crans et passait à minuit moins 17 minutes. Le monde pouvait alors respirer tranquillement. Je me souviens avoir poussé un grand souffle de soulagement qui fit éteindre les bougies de mon gâteau d’anniversaire. Mes jours, je pensais alors, n’étaient plus comptés. Le danger de la possible fin du monde semblait écarté. L’horloge pouvait poursuivre son tic-tac sans que cela me crée le moindre souci.
Mais voilà qu’en 2018 et 2019 (les années Trump et Poutine comme par hasard), à peine avions-nous repris notre respiration, l’heure remontait à minuit moins deux. En 2020 (toujours avec Trump et Poutine au pouvoir) elle passait à 100 secondes avant minuit. De quoi se poser des questions déjà à l’époque. Depuis nous avons donc été incapables de prévenir les coups et de ralentir l’élan de ces forces maléfiques (à l’exception de la mise à l’écart, temporairement possiblement, de Donald Trump). Ces forces pourraient éventuellement sonner le glas de notre existence. Poutine et son désir d’anéantir l’Ukraine, en proférant la menace d’utiliser les armes nucléaires s’il en éprouvait le besoin, n’a pas rassuré, de toute évidence, les pontes scientifiques du Bulletin.
La menace d’un conflit nucléaire toutefois n’est pas la seule raison qui a fait bouger l’horloge au dangereux niveau actuel. La crise climatique, avec les menaces qu’elle trimbale, contribue, elle aussi, à cette poussée vers l’abîme. La pandémie de la COVID-19, nous fait-on savoir, participe de même à cette escalade vers un éventuel désastre. Voilà donc nos trois Cavaliers de l’Apocalypse. Il en manque un, le quatrième qui se cache sous les jupes du conformisme : celui de la négligence et de l’indifférence.
La situation est-elle désespérée ? Pas nécessairement. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, me direz-vous. Faute de quoi, l’horloge n’aura que 90 secondes pour faire tic-tac, tic-tac, tic-tac… boum !