Vancouver 2030 : une soirée de la Saint-Valentin à la plage

Vancouver 2030, nous sommes le jeudi 14 février et la ville s’apprête à célébrer la Saint-Valentin. Comme beaucoup, j’arbore une chemise légère et fleurie car il fait déjà plus de vingt degrés cet après-midi. En soirée les températures ne chutent pas en deçà des seize degrés. Le ciel est clair, le temps sec et le coucher de soleil de couleur jaune et orange. De quoi ravir les nouveaux amoureux.

Il y a quelques années encore, en pareilles circonstances, les plages de Jericho, Kitsilano, English Bay, ou Ambleside auraient accueilli les barbecues et des quantités de burgers, de grillades, de hot-dogs arrosés de litres de bière. Une journée aussi belle et un temps aussi clément au milieu de l’hiver : ça se fête, que l’on soit en couple, en famille ou entre amis d’ailleurs.

Les choses ont bien changé. Même si nous n’avions jamais aimé notre hiver froid et humide à Vancouver, le climat s’est réchauffé bien plus fortement et bien plus vite que ce que l’on aurait secrètement souhaité. On regrette déjà l’époque où les montagnes de Grouse et de Cypress avaient encore de la neige en février. Et l’on redoute avec beaucoup d’angoisse le prochain été.

Une journée aussi belle et un temps aussi clément au milieu de l’hiver : ça se fête, que l’on soit en couple, en famille ou entre amis d’ailleurs. | Photo par Guilherme de Alvarenga

Les modèles climatiques des scientifiques avaient annoncé depuis des décennies que des changements draconiens étaient à prévoir. Je vis ici depuis quinze ans et je constate que les habitants se sont eux aussi transformés. Malgré le beau temps, pas de barbecue ce soir ! Ces antiquités à griller de la chair au propane émettaient du dioxyde de carbone. Or, notre budget carbone est expiré. Si on ne veut pas cuire cet été, on ferait mieux d’éviter de brûler du gaz ! Aujourd’hui, tout le monde a conscience de ces choses, et celui qui feindrait de les ignorer serait immédiatement viré de la plage. Pas de canettes de bière non plus. Le prix de l’aluminium ayant récemment été multiplié par trente, le matériau est strictement réservé aux usages prioritaires. La consommation de bière, de vin ou de thé ce soir se fait dans des contenants réutilisables. Cette ère bizarre du jetable et du recyclable semble appartenir au passé.

Et que mange-t-on alors ? Eh bien, on mange beaucoup, et on mange de tout. De tout, du moment que ce « tout » ne provienne pas d’un être vivant, intelligent et sensible comme nous. En cette soirée de la Saint-Valentin 2030, pas une vache, pas un cochon, pas une dinde, pas un saumon ne sera sacrifié. Vancouver, cette ville qui est parvenue à chasser l’essentiel des voitures de ses rues, est aussi parvenue à chasser la viande des assiettes. Il est désormais difficile de trouver de la chair animale.

Pour les poissons sauvages, la vérité est qu’il n’y en a plus beaucoup à pêcher. Les populations sont affaiblies ou ont migré sous l’effet combiné du réchauffement et des pollutions. On se privera de poisson encore quelques années. Mais pour la viande, nous sommes passés entre 2023 et 2030 de plus de quatre-vingts kilogrammes de viande par personne annuellement , à quelques kilogrammes tout au plus pour les rares et derniers carnivores parmi nous.

Il faut bien dire que le prix du kilo de bœuf a grimpé de 60 à 360 dollars afin de tenir en compte les deux tonnes et demie de gaz à effet de serre rotées par chaque vache par année, ainsi que les milliers de litres d’eau douce requise pour produire chaque steak. Et puis, la publicité pour tous les produits carnés a été interdite. Ni ailes de poulet, ni juteux burgers, ni dindes rôties ne passent à la télévision. Ces produits existent si l’on cherche bien, mais les consommer est devenu une tare, une faiblesse ou encore une cruauté que plus personne n’ose revendiquer, surtout en public.

De nombreux experts pensent que cette transition s’est enclenchée en 2028, lorsque toutes les enseignes de restauration rapide, y compris la fameuse chaîne au M jaune, ont été obligées par la loi de proposer au moins trente pour cent d’options végétariennes sur leurs menus. Ce sont les jeunes consommateurs et les activistes qui s’étaient mobilisés à l’époque pour demander à la restauration rapide de faire enfin preuve d’un peu plus de responsabilité.

Ce soir sur la plage il y aura des amoureux et des amoureuses qui profiteront d’une belle soirée en toute sobriété. Ils mangeront ce que les jardins du coin auront bien voulu produire. Il y aura du kale, du chou, des radis, de la betterave et même de la tomate. Pour un peu, on oublierait presque déjà l’époque où, en hiver, il faisait froid.

Aloïs Gallet est co-fondateur d’EcoNova Education et d’Albor Pacific et Conseiller des français de l’étranger alois.gallet@conseillerconsulaire.ca