À Vancouver, le mois de mars est de loin le moment le plus palpitant de l’année. Deux semaines durant, les Vancouvérois sont officiellement en congé. Et pourtant, ils travaillent dur, sans être payés mais au service de la communauté ! C’est une histoire étrange qui est liée à la plus précieuse des ressources : l’eau.
Tout est lié à l’eau
Saviez-vous que c’est en mars que les réserves d’eau atteignent leur maximum ? Les trois réservoirs de Capilano, Seymour et Coquitlam qui alimentent tout le Grand Vancouver en eau potable se gorgent en hiver. Avec les incertitudes climatiques, les milliards de litres d’eau qui viendraient à manquer au mois de mars vont déterminer le déroulement du reste de l’année.
Une leçon douloureuse
Vancouver s’est redécouverte après les terribles sècheresses du milieu des années 2020. Celle qui se pensait bien lotie dans sa forêt pluvieuse avait appris avec effroi que même ici, si l’on ne prend pas garde, l’eau pouvait venir à manquer. Il avait suffi d’un seul hiver bien trop timide en pluie et en neige suivi d’un énième été sec et caniculaire pour que la moitié des exploitations agricoles périssent. Le parc Stanley avait perdu vingt pour cent de son couvert végétal et personne n’osait compter le nombre de victimes humaines.
En réaction, le gouvernement et les municipalités ont édicté des mesures draconiennes. Les pelouses assoiffées sont proscrites. Dans les immeubles, tirer la chasse à l’eau claire est interdit. On évacue number two avec l’eau grise collectée depuis l’appartement du dessus. Des compteurs ont été installés partout. Chaque goutte compte.
Cette passion incarnée pour la protection de l’eau douce a entraîné dans son sillage une méfiance envers tous les pollueurs de la mer. Finis les croisiéristes qui emmènent le touriste depuis la Place Canada photographier la fonte du dernier glacier d’Alaska. Fini le ballet incessant des cargos porte-conteneurs ainsi que des vraquiers. Le trafic est saisonnalisé pour permettre à la mer de se dépolluer.
La Fête de l’eau et du jardinage
L’eau c’est la vie ! La hantise du gaspillage est palpable. En mars, on peut lire un peu partout dans la ville « Il n’y a plus une goutte à perdre ! Engagez-vous avec les Jardins de Vancouver ». Il s’agit d’un récent programme lancé par la ville et avec la province consistant à faire prendre conscience de la crise de l’eau tout en donnant la chance à chacun de s’engager.
Le calendrier scolaire a été modifié. Toutes les écoles et les organisations ferment pendant deux semaines. Les personnels ainsi libérés de leur besogne choisissent massivement de donner leur temps aux Jardins. Depuis les sécheresses, des tensions sont apparues sur les chaînes d’approvisionnement alimentaires.
En réponse, on a installé des jardins de toute sortes dans les rues, sur les toits, dans les stationnements et dans les parcs. Ces milliers de jardins prêts à accueillir fruits et légumes à destination des communautés sont spécialement optimisés en fonction des réserves d’eau constatées en mars.
L’ambitieux programme se raconte en chiffres. On y compte des hectares de terrain, des mètres cubes d’eau, des tonnes de terre, des masses de volontaires et des heures de sueur. En revanche, jamais il n’y est question d’argent. Aucun des vacanciers-travailleurs n’est payé. Seules les heures de labeur sont suivies. Elles seront plus tard converties en droit de retrait de kilos de tomates.
Le plus intéressant dans ce programme, ce sont ses co-bénéfices. Ces congés de printemps sont le moment préféré des habitants. Chacun est ravi de les voir arriver et de se rendre utile. On optimise, on cultive, on chasse les fuites d’eau et on fabrique des tuteurs. Mais surtout on y prend de longues pauses déjeuner à la mode méditerranéenne. Et le couvert est gratuit bien entendu. On discute d’eau, de plantes, de recettes et de santé. On y parle même d’organisation de l’année et de politique. Au fond, ce qu’on y trouve, ce sont des rencontres, des nouveaux amis et du lien social.
Pour beaucoup, ces deux semaines de printemps sont devenues les deux plus belles semaines de l’année. À besogner dans ces conditions, en extérieur par plus de vingt degrés, on s’y sent rajeunir, on se croirait en vacances et on savoure le sentiment d’appartenir à une communauté. Pour remercier les volontaires d’embellir les quartiers tout en préservant la ressource en eau, les propriétaires leur offrent à tous les deux semaines de loyer.
L’un dans l’autre, la crise de l’eau a donné naissance au vrai sens de la vie de quartier.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et Conseiller des Français de l’étranger.