Disons d’emblée que la démographie des pays est au centre des préoccupations des gouvernants car elle joue un rôle central dans la fabrique des nations. Elle rythme l’économie, la politique et la culture. Par conséquent, les politiques d’immigration sont scrutées à la loupe pour décider qui peut faire partie ou non de la population. Ses politiques peuvent se manifester par des lois écrites et non-écrites. La question est de savoir si les immigrants sont tous égaux devant les politiques d’immigration dans le monde. La réponse est non. Le fait est que, certains font partie du groupe des bons et les autres appartiennent à la catégorie des mauvais.
Par conséquent, les dirigeants s’assurent de la contrôler à force de régimes normatifs spécifiques justifiant ceux qui sont les bons et mauvais immigrants. Pour les bons, des mesures d’entrée favorables et un appui soutenu pour les intégrer dans la société sont mis en place. Pour les mauvais immigrants, des barrières à l’entrée sont érigées pour les tenir loin du pays. Et pour les quelques mauvais immigrants qui réussissent à franchir les barrières, très peu de soutien leur est offert pour leur permettre de s’intégrer. Conséquence logique, ils bâclent leur intégration socioéconomique. Leur débâcle devient, du même coup, la justification du narratif d’exclusion selon lequel ils ne sont pas intégrables à la société d’accueil.
Soulignons que les nations évoluent, en partie, à la suite des guerres que se livrent les unes contre les autres. On se souvient de l’incorporation par la force des populations étrangères dans les Amériques, en Afrique et en Asie lors de la période coloniale. Les gouvernement français, anglais, portugais et espagnol ont incorporé des peuples racisés de tous les coins du monde. Par ailleurs, les guerres provoquent aussi des déplacements forcés des personnes qui sont contraintes d’aller vivre ailleurs comme des réfugiés, à la recherche de protection. Plus récemment, la globalisation des relations socioéconomiques et culturelles a entraîné avec elle une nouvelle époque que certains qualifient d’ère des migrations. En effet, selon l’Organisation mondiale des migrations (2022), il y aurait aujourd’hui près de 100 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays, 281 millions de personnes vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance en 2020, soit 128 millions de plus qu’en 1990 et plus de trois fois plus qu’en 1970.
Comment ces personnes qui ne vivent plus dans leurs pays d’origine sont-elles perçues par leurs pays hôtes ? Certaines sont les bienvenues et d’autres non. Par exemple, l’Europe a amplement ouvert sa porte aux réfugiés ukrainiens alors qu’elle la ferme aux réfugiés racisés qui arrivent d’Afrique, de Syrie et d’Irak. Les Ukrainiens sont des bons réfugiés et immigrants car ils sont de race blanche. Ils ne font pas peur à ceux et celles qui brandissent la théorie du remplacement, car la stabilité culturelle est garantie. Important de souligner, ils possèdent des compétences qui peuvent aider à combler la pénurie de la main-d’œuvre dans plusieurs secteurs des économies occidentales. En revanche, les Syriens, les Africains et les Irakiens sont des mauvais immigrants et réfugiés car ils risquent d’apporter en Occident le poison du fondamentalisme culturel antithétique aux valeurs culturelles occidentales.
Le Journal français Le Monde (2022) a récemment rapporté que, depuis 15 ans, l’UE a dépensé près de 11,3 milliards d’euros pour renvoyer des migrants illégaux dans leurs pays d’origine (pays aux populations racisées), une somme qui pouvait aider les pays européens à les accueillir et les intégrer dans la société. Selon les Nations Unies (2022), plus de 3.000 Africains sont morts dans la mer Méditerranée à cause des politiques prohibitives de l’Union européenne. Comprenez-vous quelque chose de cette situation, considérant que l’UE a déjà accueilli près de 6 millions de réfugiés ukrainiens en moins d’une année. Pour les gouvernements occidentaux, les Ukrainiens sont bons pour l’Occident et les peuples racisés sont mauvais, pour dire les choses telles qu’elles sont.
Le Canada est en première ligne dans cette course. Il a déployé des mesures exceptionnelles pour accueillir des Ukrainiens. L’accélération du traitement d’un nombre impressionnant de dossiers et les mesures spéciales pour les aider à s’établir sont impressionnantes. A contrario, que dire des milliers de dossiers empilés dans les ambassades canadiennes en Afrique et en Asie qui n’ont pas l’attention du gouvernement ? Citoyenneté et Immigration Canada (2022) a dit que près de 200.000 Ukrainiens sont déjà arrivés au Canada depuis mars 2022. Le narratif est insistant et consistant. Selon le gouvernement, les Ukrainiens subissent une des plus grandes souffrances humaines sous l’invasion russe. Mais alors que dire par exemple, des 12.000.000 morts en République démocratique du Congo, qui ne meurent certes pas de bombes mais des balles, de viol et sous les armes blanches ? Aux yeux des gouvernements occidentaux et en particulier canadien, la souffrance des Congolais ne pèse pas beaucoup comparativement à celle des Ukrainiens qui est amplifiée. Que dire du silence du gouvernement canadien qui ferme ses yeux et sa porte aux milliers de personnes entassées dans des camps de réfugiés en Afrique et en Asie ? Et que dire des souffrances des millions d’Iraniens qui ne reçoivent pas la même attention que celle que les Ukrainiens méritent.
Il ne faut pas surtout s’enfermer dans le pessimisme. Les choses peuvent changer si des politiciens aux pratiques transformatrices se mettent en mode de changement du narratif autour des immigrants qualifiés de mauvais immigrants. L’argument de la menace culturelle ne tient pas la route car aucune culture n’est figée. Tomber dans la logique des conflits civilisationnels est contre-productif. Par ailleurs, la théorie du remplacement n’est pas défendable car, dans le futur, aucune société ne pourra plus se permettre de vivre en réclusion, dans son homogénéité ethnique, sous peine de dépérir, car les atouts de la diversité ethnique, des différences vivant en cohésion, sont maintenant bien documentés.
Mambo Tabu Masinda, PhD, vit à Surrey, en Colombie-Britannique.