La reine est morte mais, malgré son couronnement, ne vous attendez pas à m’entendre crier haut et fort sur tous les toits « Vive le roi ». Loin de là. Loin de moi l’idée de célébrer pareille débauche d’énergie et gaspillage médiatique qui eut lieu le 6 mai dernier. Une telle orgie d’extravagance ne peut que m’horripiler au plus haut point. Je l’ai déjà souvent mentionné dans mes chroniques, j’éprouve une répulsion profonde, une sorte de rhinite allergique dès l’instant où il est question de royauté.
Le mois de mai commença plutôt bien. Les cerisiers japonais avaient sorti leur plus bel apparat, le muguet de mon jardin s’était pour l’occasion orné de ses magnifiques clochettes, tout de blanc vêtu et, puisque nous étions en mai, j’en profitais pour faire ce qui me plaisait c’est-à-dire me consacrer à une oisiveté totale et bienfaisante. Mais voilà, la première semaine du mois de mai pas même achevée, le gugusse britannique du nom de Charles III (je ne suis plus à un crime de lèse-majesté près) avec qui je ne possède aucune affinité et pour qui j’éprouve une profonde déconsidération, a choisi de se faire couronner, en plein jour, à la vue de tous, durant le week-end, qui en plus est le jour de l’anniversaire de mon petit-fils, et alors que mon intérêt se penchait sur les questions de gérontologie soulevées par la décision de Joe Biden (et possiblement celle de Donald Trump) de se représenter aux futures élections présidentielles américaines.
Ainsi m’était donnée, afin de calmer ma rage, une belle occasion de déblatérer sur un sujet, le régime monarchiste en l’occurrence, qui continue de me hérisser à me donner la chair de poule lorsqu’il survient. Les mots ne manquent pas lorsqu’il s’agit d’exprimer mon détachement complet et total au sujet d’un système dont je suis malgré moi, vivant au Canada et étant Canadien, le sujet. L’anomalie, l’absurdité, l’aberration, l’incongruité, l’illogisme, l’archaïsme des régimes monarchistes, admettons-le une bonne fois pour toutes, n’ont plus aucune raison d’être.
Il fallait s’y attendre, Justin Trudeau fut invité aux festivités mais pas moi. Mon absence, contrairement à celle de Meghan Markle, je crois comprendre, ne s’est pas trop fait sentir. Notre premier ministre a été bien accueilli par la famille royale. Et pour cause : peu avant son départ pour Londres, au cours d’une conférence de presse, il avait déclaré que ce n’était pas le moment de remettre en question le régime monarchique. Trudeau, qui semble en pincer pour la royauté, a reproché ensuite aux antimonarchistes de ne pas se mettre d’accord pour savoir quelle serait la meilleure alternative au système monarchique constitutionnel. Notre premier ministre de toute évidence semble préférer le statu quo. Position plutôt facile qui ne devrait pas déplaire à notre souverain britannique. La souveraineté canadienne, ce n’est pas pour demain la veille.
N’ayant donc pas reçu d’invitation au couronnement, je me suis senti lésé par Sa Majesté. Je comprends qu’à aucun moment nous avons gardé les cochons et encore moins les corgis ensemble mais, à mes yeux, ce n’était pas une raison suffisante de me bafouer ainsi. D’où ma décision d’ignorer l’événement. Personne, j’espère, ne me tiendra rigueur de ne pas être en mesure de commenter le spectacle entourant les cérémonies de ce sacre dont je me sacre éperdument.
Si la réalisation de ce cirque destiné aux aficionados de la monarchie britannique avait été confié à l’équipe de Monty Python je me serais fait un plaisir de suivre les ébats peu folâtres des époux royaux. Mais là, considérant qu’il s’agissait avant tout d’une manœuvre de relations publiques, je n’allais pas me planter devant mon poste de télé et me mettre à regarder un message publicitaire de plusieurs heures vantant les mérites de la suprématie d’une famille de privilégiés de ce monde.
Ainsi, plutôt que de suivre la transmission télévisée d’un spectacle qui à mon avis ne pouvait intéresser et toucher que les citoyens britanniques, j’ai choisi, à la place, pour des raisons purement personnelles, de regarder à la télé Tarzan roi de la jungle suivi par un film de Charlot, le roi du cinéma muet pour finir par écouter un reportage sur Ding Liren, le dernier roi du jeu d’échecs. Ce faisant, à dessein, je me privais des excès de verbiages flagorneurs dont certains animateurs et commentateurs raffolent. Tout compte fait je suis incurable : de la cérémonie du couronnement je n’en eus cure.
Pour couronner le tout, une confidence : mon attachement au roi ne s’applique qu’à mon jeu de cartes où je suis un as (à ne pas confondre avec ass en anglais). Le roi, la reine et leurs valets n’ont alors plus d’atout et aucun attrait.