Lorsque des créolophones se rencontrent, qu’ils viennent d’Haïti, du Cap-Vert, ou de la Jamaïque, ils ont souvent du mal à se comprendre en créole. Pour la simple raison qu’il existe une multitude de langues créoles qui diffèrent les unes des autres, selon leurs bases lexicales qu’elles soient en français, en anglais, en portugais ou en espagnol. Leur seul point en commun, c’est leur émergence, il y a 500 ans, dans un contexte d’urgence de communication. Il faut y voir des personnes d’origine différente, soumises à l’esclavage et ne parlant pas les mêmes langues, mais en quête de trouver un mode de communication commun.
Hassan Laghcha – IJL – Réseau.Presse – Journal la Source
On estime que treize millions de personnes dans le monde parlent des langues créoles, dont certaines sont menacées d’extinction. En revanche, d’autres s’en sortent très bien, comme c’est le cas pour les langues créoles d’Haïti, de la Jamaïque ou du Cap-Vert. Ces langues ont bénéficié d’efforts de revitalisation par l’UNESCO qui a décrété, en 1983, la Journée internationale de la langue et de la culture créoles.
“Cette célébration internationale sert notamment à reconnaître ces langues pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des langues à part entière et à contrebalancer toutes ces années durant lesquelles les langues créoles n’étaient pas perçues comme des langues, mais comme des manières de parler inférieures”, précise Marie-Ève Bouchard, professeure de sociolinguistique à l’Université de la Colombie-Britannique.
Selon cette chercheure particulièrement intéressée par la créolastique, « une langue survit lorsqu’elle est associée à l’identité d’un peuple ». Elle cite, à cet égard, les pays où le créole est bien valorisé, comme la Jamaïque, où il est utilisé par la quasi-totalité de la population, ou encore le Cap-Vert où des écoles bilingues sont créées pour établir un juste équilibre entre les deux langues, le créole et le portugais.
Normalisation et enseignement supérieur
L’exemple d’Haïti est, à cet égard, édifiant. En 1987, ce pays a déclaré le créole langue officielle. Depuis, cette langue parlée par l’écrasante majorité des Haïtiens (95%) a bénéficié d’efforts soutenus de revitalisation avec la mise en place d’une académie dédiée, l’édition d’un dictionnaire et la normalisation grammaticale et lexicale qui met en valeur ses richesses linguistiques.
« De manière générale, la situation actuelle varie énormément d’un créole à l’autre », admet Mme Bouchard, faisant référence à l’Atlas des structures linguistiques créoles où des linguistes de plusieurs pays ont documenté et décrit 76 variétés de créole, dont 27 sont basées sur l’anglais, 14 sur le portugais, 9 sur le français et 6 sur l’espagnol.
À noter également les efforts des organismes francophones visant à faire connaître la langue et la culture créoles. À cet égard, l’Alliance française de Vancouver a organisé le 22 février, dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, un atelier sur le créole haïtien, animé par la professeure de français Nathalie Versaille, avec la participation d’une dizaine de francophones et francophiles. Ces personnes étaient curieuses d’en savoir plus sur cette composante linguistique et culturelle de la diversité francophone, peu connue dans l’Ouest canadien.
Selon Mme Versaille, « cet atelier reflète l’intérêt croissant pour le créole, notamment de la part des nouvelles générations de créolophones qui souhaitent se réapproprier cette culture. » Elle indique que contrairement à la génération de ses parents, par exemple, elle n’a pas le même rapport qu’eux avaient avec la langue créole. « Les générations plus âgées ont été tellement traumatisées par les pratiques de l’administration française, notamment dans les écoles, visant à faire disparaître leur langue maternelle. À tel point, dit-elle, que ma mère, si elle m’entend parler créole, elle me corrigera en me disant que ce n’est pas correct. Même si elle-même parlait créole avec ses parents ! Mais on lui a tellement répété cette remarque négative qu’elle a fini par l’intérioriser définitivement », raconte ce jeune professeur d’origine martiniquaise.
Cette dernière prend plaisir à faire découvrir aux Vancouvérois, petits et grands, les richesses lexicales et sémantiques de sa langue de cœur. « Ce passé traumatisant n’est plus qu’un mauvais souvenir », dit-elle, heureuse de constater le renouveau évident du créole dans son pays natal avec la multiplication des publications en créole, incluant des contes, des livres et des dictionnaires. Il y a aussi la mise en place de programmes universitaires, menant par exemple à un baccalauréat en créole et une maîtrise en études créoles. À cela, s’ajoute un concours national : la Grande Dictée Créole qui offre des prix très encourageants.