Avez-vous lu le pape François ?

Alors que les 80% des scientifiques prédisent un réchauffement climatique d’au moins 2,5 degrés[1], alors que les marchés restent sourds, aveugles et menteurs face aux désastres qu’ils génèrent, alors que les politiques exerçant désormais leur mandat sur Twitter n’inspirent plus grand monde, n’est-il pas temps de chercher l’inspiration ailleurs ? Et pourquoi pas regarder de plus près à la plume du pape François. Il est le chef d’une communauté de près d’un milliard et demi de congénères. Explorons sa lettre écrite aux fidèles dont la rigueur littéraire, l’exactitude scientifique et la force éthique valent bien des lectures.

L’exhortation apostolique Laudate Deum[2] publiée le 4 octobre 2023 commençait par ces mots « À TOUTES LES PERSONNES DE BONNE VOLONTÉ SUR LA CRISE CLIMATIQUE ». Il s’agit pour le Saint-Père d’adresser ses préoccupations concernant la sauvegarde de la « maison commune » – une très belle expression que l’on retrouvait déjà dans la lettre encyclique Laudato Si de 2015. Si la Terre est notre maison commune, on doit souhaiter que chaque homme et chaque créature puisse y trouver sa place, mais aussi que chacun puisse prendre sa part aux devoirs d’entretien. Laudate Deum ne manque pas de faire le lien entre la crise climatique et la question de la dignité humaine, qualifiant les attaques contre la nature de « péchés structurels » puisqu’ils sont perpétrés par des multirécidivistes qui ont tout, et subis par les miséreux qui n’ont rien.

Le pape François. | Photo de Presidenza della Repubblica

Au paragraphe 20, le pape démontre qu’il existe bien des positions intellectuelles malhonnêtes qui nous confinent à l’inaction climatique. Puis il s’attaque frontalement à ce qu’il nomme le « paradigme technocratique ». Il accuse cette idéologie de s’être arrogé à tort le monopole de la connaissance scientifique. En s’alliant avec le pouvoir économique et financier, le paradigme s’est mué en une forme d’obsession pour la croissance perpétuelle. Les capacités, les possibilités et la puissance humaine doivent-elles vraiment croître éternellement ? Cette déviance de l’esprit n’est ni saine, ni décente, mais surtout, elle conduit à la ruine de la planète. Hier charbon et fer, aujourd’hui pétrole et lithium, demain silicium et d’autres matières seront toujours arrachées aux entrailles de la Terre.

Le pape interroge en profondeur les limites au pouvoir humain. « Notre pouvoir s’est accru de manière effrénée en peu de décennies […] et nous ne nous rendons pas compte que, dans le même temps, nous sommes devenus extrêmement dangereux ». Les connaissances dans les domaines du nucléaire, des biotechnologies, de l’intelligence artificielle ou de l’ADN procurent à ceux qui ont le pouvoir d’en faire usage une emprise terrible sur l’humanité et sur le monde. Seulement, rien ne garantit que des mortels ainsi suréquipés sauront bien s’en servir. L’IA, quand elle ne sert pas à plagier autrui, n’est-elle pas utilisée pour générer toujours plus de cibles militaires à Gaza[3] ? Le pape dénonce la décadence éthique du pouvoir. Le marketing, quand il est mis au service d’une puissance industrielle et financière décadente, n’ignore pas que pour mettre en production un projet dangereux, climaticide mais lucratif, il vaut mieux tromper le public et corrompre les esprits naïfs ? Avec leur slogan pathétique, les projets de gaz naturel en Colombie-Britannique en sont un exemple typique : « Le monde veut plus d’énergie canadienne ». Ah bon ?

Il est temps de se hâter maintenant. Tourner l’aiguillon éthique vers les questions fondamentales que chaque homme et chaque femme doit aimer se poser. Quel est le sens de mon existence ? Quel sera mon héritage pour la Terre ? Quelle sera ma contribution à la vie qui m’a précédée et à celle qui doit me survivre ? Dans une ultime réflexion, le pape écrit « Si nous considérons que les émissions par habitant aux États-Unis sont environ le double de celles d’un habitant de la Chine, et environ sept fois supérieures à la moyenne des pays les plus pauvres, nous pouvons affirmer qu’un changement généralisé du mode de vie irresponsable du modèle occidental aurait un impact significatif à long terme. » C’est dit ! Le mode de vie irresponsable que nous tolérons ici, non content de contredire les principes de l’éthique, détruit en plus le bien commun. Les questions posées par le pape sont universelles. Dans nos vies comme dans nos ouvrages, serons-nous les collaborateurs du paradigme technocratique mortifère ou les Justes d’une réconciliation avec la dignité humaine et la nature ? La réponse s’écrit en ce moment. Elle sera, après nous et avec ce qu’il restera de la maison commune, notre seul véritable héritage.

www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/20231004-laudate-deum.html

Ouvrages cités :

[1] www.theguardian.com/world/article/2024/may/09/first-edition-climate-change-survey

[2] www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/20231004-laudate-deum.html

[3] www.972mag.com/lavender-ai-israeli-army-gaza

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