C’est au Studio 16 de la Maison de la francophonie de Vancouver que le Théâtre la Seizième a présenté Koulounisation le 27 septembre dernier, une pièce documentaire écrite et interprétée par le dramaturge franco-algérien Salim Djaferi.
Dans Koulounisation, Salim Djaferi, descendant de parents algériens, explore la question de la colonisation de l’Algérie par la France, qui a eu lieu entre 1830 et 1962, et qui s’est achevée par la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962.
Pour aborder ce sujet complexe, le dramaturge franco-algérien choisit une approche linguistique et sémantique. Il interroge sa famille et ses amis, en France comme en Algérie, sur la manière dont ils évoquent la colonisation. Certains proposent un mot arabe se traduisant par « construire », d’autres préfèrent des termes comme « posséder sans autorisation », « ordonner », « remplir » ou « remplacer. » La pièce ne cherche pas à offrir une rigueur académique, mais à révéler comment les mots employés reflètent des perceptions différentes selon le contexte historique et selon que l’on se trouve d’un côté de la Méditerranée ou de l’autre.
Salim Djaferi souligne la différence dans les termes utilisés pour désigner la même période. En France, on parle de « Guerre d’Algérie » (qu’on appelait jadis « les événements d’Algérie », un euphémisme), tandis qu’en Algérie, on parle de « Révolution ». Ce simple écart de vocabulaire souligne à quel point les expériences des humains et leurs places dans l’histoire influencent la vision des événements.
La mise en scène est simple mais symbolique, le dramaturge construit peu à peu le décor de son discours, comme si ses mots prenaient forme et vie. Il utilise des blocs de polystyrène, un fil et des éponges. À plusieurs reprises, il déconstruit ce qu’il vient de bâtir, une métaphore du processus de colonisation, de déconstruction et de reconstruction identitaire. Les lumières, qui restent allumées tout au long de la représentation, créent une ambiance participative, incluant le public dans la réflexion. Ce choix scénique est particulièrement intéressant, car il rappelle que la pièce est autant une introspection personnelle qu’une invitation à une réflexion collective.
L’artiste, seul sur scène, capte l’attention avec une voix douce et mesurée. Son jeu subtil, presque méditatif, contraste avec la violence sous-jacente du sujet. Par ses gestes délicats et ses pauses réfléchies, il invite le spectateur à explorer la complexité du récit historique, sans imposer un point de vue accusateur. Sa présence scénique est à la fois apaisante et percutante, notamment lorsqu’il couvre son visage de sang, rappelant la violence inhérente à cette période.
Ce n’était pas seulement une affaire de mots, mais aussi une affaire de violence.
L’identité est également un thème central de la pièce. Celle de son grand-père, modifiée pour s’assimiler au système français ; celle de sa mère, qu’elle a « volontairement » transformée ; et celle de l’Algérie elle-même, où les noms ont été francisés pour vider le pays d’une culture et le remplir d’une autre. C’est ainsi que, quand
« ils étaient là » , les Algériens sont devenus étrangers sur leur propre terre.
Koulounisation réussit brillamment à transformer une réflexion académique en une œuvre scénique à la fois accessible et profonde. Salim Djaferi, avec humilité et sincérité, invite à interroger les récits de l’histoire par le biais du prisme des mots et des identités. L’absence de jugement dans la pièce permet aux spectateurs de construire leur propre réflexion sur la colonisation, la guerre, et leurs répercussions actuelles. C’est une œuvre qui incite les personnes à repenser l’usage des mots et leur pouvoir, et qui mérite d’être vue par quiconque s’intéressant aux questions d’identité et d’histoire coloniale.