Une étude a permis d’estimer l’espérance de vie dans les quartiers des plus grandes villes du Canada. C’est la première fois au Canada que l’on va plus loin que le niveau des provinces et des villes afin d’analyser l’espérance de vie au niveau des plus petites régions géographiques possibles, soit les secteurs de recensement. Les résultats sont troublants.
Avec mes collègues, nous avons examiné 3 348 secteurs de recensement dans les 15 plus grandes villes du Canada, ainsi que des secteurs de recensement des plus grandes villes des États-Unis pour lesquels nous disposions de solides données. Nous avons pu observer de nombreuses variations de l’espérance de vie d’une zone géographique à l’autre, qui sont généralement associées à des facteurs socioéconomiques tels que le taux de pauvreté économique et le revenu médian des ménages. Alors que l’espérance de vie globale au Canada était supérieure d’environ trois ans dans les villes étudiées, nous avons constaté des différences pouvant atteindre jusqu’à 20 ans entre les secteurs de recensement, et ce dans une même grande ville.
Parmi les 15 plus grandes villes du Canada, c’est à Victoria que l’espérance de vie varie le plus, et à Oshawa qu’elle varie le moins. Victoria, St. Catharines (Ontario) et Winnipeg présentaient les associations les plus importantes entre l’espérance de vie et le taux de pauvreté économique et le revenu médian familial, tandis que Vancouver, Montréal et Toronto montraient les associations les plus faibles. Les villes de Québec et de Montréal avaient une espérance de vie moyenne à 20 ans très similaire, bien que la variation entre les quartiers de Montréal fût considérablement plus grande que dans la ville de Québec.
Ces résultats présentent parfois une espérance de vie très différente dans les villes d’une même province. Ceci est d’autant plus remarquable que l’on prétend souvent que les soins de santé relèvent de la compétence des provinces, et sont donc de leur responsabilité. L’implication est que les municipalités peuvent également avoir une grande incidence sur l’espérance de vie et les inégalités en matière de santé.
De façon peut-être surprenante, nous avons également constaté que l’éventail des espérances de vie dans les secteurs de recensement des plus grandes villes du Canada pouvait être aussi large que dans les six plus grandes villes des États-Unis, où les variations de l’espérance de vie dans les secteurs de recensement des six plus grandes villes des États-Unis atteignaient également environ 20 ans. Cependant, il y avait une différence majeure en ce qui concerne le taux de pauvreté économique : les villes américaines présentaient un lien beaucoup plus fort entre l’espérance de vie et la pauvreté que les six plus grandes villes du Canada.
C’est un résultat curieux. D’une part, les plus grandes villes des deux pays présentent des écarts d’espérance de vie aussi importants entre les secteurs de recensement. D’autre part, le taux de pauvreté économique expliquait une part beaucoup plus grande de ces inégalités en matière de santé dans les villes américaines que dans les villes canadiennes.
Qu’est-ce qui pourrait être à l’origine de ces inégalités en matière de santé au Canada, si ce n’est les mesures habituelles du statut socioéconomique ?
Bien que le Canada dispose d’un système de santé prétendument « universel » (malgré des lacunes importantes dans les soins dentaires, les médicaments et les soins de longue durée) qui est certainement beaucoup plus universel qu’aux États-Unis, cela ne peut pas constituer une explication solide. Les inégalités d’espérance de vie au Canada varient d’une ville à l’autre dans une même province.
Une autre possibilité est que le Canada est nettement plus égalitaire que les États-Unis (bien qu’il le soit moins que certains autres pays de l’OCDE), ce qui est évident non seulement en termes d’inégalité des revenus, mais aussi en ce qui concerne les résultats scolaires. En outre, et en dépit de la rhétorique américaine voulant que les États-Unis soient un pays où tout le monde a ses chances, les Canadiens et les Canadiennes connaissent deux fois plus de mouvements vers le haut (et vers le bas) dans l’échelle des revenus d’une génération à l’autre que les Américains. Bien que les « morts de désespoir » attirent de plus en plus l’attention aux États-Unis, un nombre croissant de données probantes montrent que le stress chronique réduit davantage l’espérance de vie.
Il doit y avoir toutefois autre chose à l’œuvre que des différences nationales en matière d’inégalité. Les associations nettement plus fortes entre l’espérance de vie et le taux de pauvreté dans chacune des six plus grandes villes américaines pourraient être attribuées à une plus grande ségrégation raciale dans les villes américaines. Alors que le Canada souffre également de discrimination raciale et d’autres formes de discrimination, des analyses récentes semblent indiquer quelque chose de plus général : il y a plus de ségrégation socioéconomique dans les quartiers américains, y compris, mais pas exclusivement, en fonction de la race.
Ces différences plus marquées dans la ségrégation socioéconomique peuvent être dues en partie à des structures de gouvernement local très différentes. Aux États-Unis, les banlieues riches peuvent « choisir de ne pas soutenir » les quartiers plus pauvres de la même ville en créant leurs propres gouvernement local et conseil scolaire. En revanche, les récentes vagues de fusion des municipalités et des conseils scolaires dans les plus grandes villes du Canada signifient que les biens publics locaux tels que les écoles sont répartis plus équitablement, avec beaucoup moins d’autorités élues à l’échelle locale.
Les résultats de notre étude soulèvent d’importantes questions. Si les plus grandes villes du Canada semblent avoir considérablement réduit le lien entre la pauvreté économique et l’espérance de vie par rapport à leurs homologues américaines, pourquoi les variations à l’intérieur de ces villes sont-elles aussi importantes que celles observées aux États-Unis ? Même si les soins de santé relèvent de la compétence des provinces et des territoires, pourquoi ces tendances sont-elles si différentes entre les villes d’une même province ? La fusion des municipalités et des conseils scolaires est-elle un « joyau caché » de la politique en matière de santé publique ?
Maintenant que nous avons ces données, répondre à ces questions pourrait nous amener à reformuler le discours sur la santé et la politique en matière de soins de santé au Canada.
MICHAEL WOLFSON
Ancien statisticien en chef adjoint à Statistique Canada, Michael Wolfson est membre du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa.
SOURCE : QUOIMEDIA.COM
https://quoimedia.com/le-quartier-ou-vous-vivez-peut-reveler-votre-esperance-de-vie/