Dis Paps, raconte-nous comment c’était de ton temps. Notre professeur de citoyenneté nous expliquait ce matin qu’avant l’appel législatif citoyen, les assemblées étaient faites de notables élus.
Qu’est ce qui te surprend dans tout ça ? Des notables ou des élus ?
Les deux. Et le professeur nous a dit que c’était un bien mauvais système. Raconte-moi l’ambiance de l’époque avec l’emballement climatique qui avait déjà commencé. Tu votais quoi ?
La première fois que j’ai voté c’était en octobre 2024. Deux ouragans avaient dévasté le sud-est du continent, dont un certain Milton « Cat-6 » !
Pouah, « Cat-6 » en 2024 ? Vous n’étiez carrément pas prêts, je parie.
Le jour même des élections, une rivière atmosphérique avec 280mm de pluie avait embarqué des maisons à Deep Cove et tué plusieurs personnes. Mais tu sais, on n’avait pas encore bien compris nos ennuis. Je me souviens, seuls trois partis se disputaient le pouvoir.
Qui étaient les candidats ?
Beaucoup d’avocats, des financiers, des capitalistes et des politiciens de carrière.
Et des philosophes ?
Ni philosophe, ni scientifique, ni artisan, ni artiste. C’était une autre époque où l’on valorisait encore beaucoup les gestionnaires, plutôt que les visionnaires. Il y avait de fortes inégalités dans la population et un dégoût généralisé pour la politique.
C’est ouf tous ces hands-off ! Et pour les départager, comment les citoyens décidaient des thèmes politiques et des priorités ?
La politique était une affaire descendante. Les partis décidaient de quoi ils allaient parler. La campagne racoleuse de 2024 avait tourné autour du logement et du coût de la vie. Dans une société inégalitaire et largement anesthésiée, l’idée de « vie humaine » était associée à l’idée d’un « coût ».
Et le sujet du logement servait en réalité à parler de la propriété privée : une puissante idée qui distinguait les possédants des autres. Ceux qui « gagnent » de ceux qui « coûtent ». Pourtant, une maison pouvait coûter plus de vingt années de revenu dans la région.
Vraiment ? Donner vingt ans de sa vie pour avoir l’impression de gagner. Mais vous étiez un peu toqués non ?
Endoctrinés je dirais ! Le système financier du pays reposait sur la propriété, le crédit et l’intérêt. Un logement représentait aussi une affaire pour un propriétaire qui pouvait le louer à des prix indécents aux non-possédants. On n’osait pas parler d’exploitation.
J’ai lu des choses là-dessus. Compétition, individualisme et domination étaient les valeurs de l’époque.
Ne me lance pas, veux-tu. Mais tu as raison. Assez vite les ennuis sont arrivés. Cyclones, incendies et inondations ont commencé à faire vaciller toute l’économie. Des maisons mal conçues ont été détruites par centaines de milliers. Les assurances et les banque ont fait faillite. Notre imaginaire et nos valeurs se sont écroulés.
Et donc, drames climatiques, valeurs anti-robustes et économie déséquilibrée : qu’aviez-vous fait en 2024 ? Vous aviez boycotté l’élection et manifesté pour imposer des scientifiques à l’assemblée ?
Pas du tout. Le seul parti qui se démarquait par sa scientificité – les verts – ont fait 2%. Les deux autres partis qui s’étaient écharpés pendant toute la campagne, sauf sur l’exploitation du GNL, là-dessus ils étaient d’accord, se sont neutralisés avec une égalité de score.
Incroyable! En 2024 ils voulaient encore vendre du GNL à l’étranger ! Et quand est-ce qu’a été fondée la compagnie des Stockages Énergétiques Canadiens Stratégiques ?
La SECS est arrivée un peu plus tard. Quand les élus ont enfin compris que la promesse d’endettement à vie pour des maisons non assurables mais financées en dilapidant notre GNL hyper polluant à l’étranger allait finir par leur coûter très cher, ils ont commencé à relier les enjeux : environnement, social, justice et démocratie. Beaucoup se sont retirés de la politique et collectivement nous avons commencé à créer le nouveau monde que tu connais : assemblée législative des appelés, micro-villages, gouvernance des communs et monnaies locales.
Vous vous êtes pris de passion pour la démocratie directe ?
Pas seulement. Malgré la souffrance d’un monde qui nous échappait et d’une humanité abîmée par la compétition, les guerres et la propagande : l’art, la lenteur, la communauté et la conservation ont fait leur percée. C’était formidable.
Ah ouais, c’est au pied du mur que le maçon s’est remis à rêver.
Pas le maçon. Le collectif s’est remis à rêver, à penser et à bâtir un monde soutenable.
Mieux vaut tard que jamais.
Merci Paps !
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.