L’annonce récente par Ottawa d’une réduction des quotas de résidents permanents et temporaires pour les trois prochaines années continue de faire des vagues en Colombie-Britannique. Pour accueillir ses trois millions de visiteurs par an, le village de Whistler et ses industries de tourisme et d’hôtellerie reposent en grande partie sur des immigrants. Sur place, l’impact des nouvelles mesures sur l’économie reste encore difficile à anticiper.
Suzanne Leenhardt – IJL – Réseau. Presse – Journal la Source
Whistler, ville de montagne de 14 000 habitants à deux heures au nord de Vancouver, attire par son climat tempéré et sa proximité avec les États-Unis. Pour assurer le confort et le service des touristes, de nombreux travailleurs saisonniers viennent également y poser leurs valises. Eux aussi sont venus profiter de la neige en hiver, du vélo en été et d’une vie à la montagne. Japonais, Néo-Zélandais, Européens, Indiens, Philippins… la liste est longue. Et les statuts aussi.
Fin octobre, par le biais de son ministre de l’Immigration, le gouvernement fédéral a annoncé une réduction de ses quotas de résidents permanents pour les trois prochaines années. Les cibles de 500 000 nouveaux résidents permanents par an ont été ré-ajustées à 395 000 pour 2025, 380 000 pour 2026 et 365 000 pour 2027. À Whistler, entre 24% et 35% de la main- d’œuvre provient de l’extérieur de la ville, selon la municipalité.
Un système à points
S’ils arrivent en majorité sous le statut de résidents temporaires, certains nouveaux arrivants voudraient rester pour s’installer plus longuement et se lancent alors dans la procédure de demande de résidence permanente. C’est le cas d’Eric Sai venu de Birmanie il y a deux ans et demi. Le jeune homme cumule deux emplois, l’un à Vancouver et l’autre à Whistler, et fait le trajet chaque semaine. Il est chargé de service à la clientèle la nuit à l’hôtel et spa quatre étoiles Westin à Whistler à plein temps, et travaille à mi-temps pour le même groupe à Vancouver.
Déterminé à obtenir la résidence permanente, il ne désespère pas suite aux annonces d’Ottawa et se dit même « compréhensif » face à cette politique. « Je reste optimiste pour obtenir ma résidence permanente parce que j’ai construit des bases solides : j’ai obtenu un master dans une université canadienne, je travaille dans le secteur de l’hôtellerie et mon employeur me soutient. Je considère ces défis comme faisant partie du voyage plutôt que comme des obstacles », assure-t-il.
Patient, il sait que pour obtenir le précieux sésame, il lui faut engranger des points. Et on les gagne selon plusieurs critères : pays d’origine, âge, diplômes, salaire ou encore maîtrise de certaines langues. Chaque province propose des programmes spécifiques pour obtenir des points, en fonction de leurs besoins de main-d’œuvre. Eric Sai a choisi le BC-PNP, un programme de la Colombie-Britannique qui cible les travailleurs de certains domaines d’activité.
« L’hôtellerie est reconnue comme un secteur en demande, surtout dans les régions comme Whistler» , explique-t-il. En travaillant dans une zone éloignée des centres urbains, il obtiendra des points additionnels.
Un système de plus en plus compétitif
L’inconnue étant que les critères de sélection des dossiers sur Entrée Express, la plateforme en ligne qui gère les demandes, évoluent souvent. « Lors du tirage du 13 novembre dernier, le score minimal était de 547 points, ce qui est énorme, témoigne Marion Ziller, une Française, consultante réglementée en immigration canadienne basée à Vancouver. La veille, il y avait 217 500 profils dans le bassin ».
Pour elle, il est difficile de savoir si les nouveaux quotas d’immigration affecteront la station de Whistler. « Je pense que Whistler se repose beaucoup sur les personnes ayant un permis de travail ouvert comme le programme vacances-travail (PVT). Est-ce que ce programme sera touché de manière importante? » , pose la spécialiste. Dans les nouvelles mesures, le gouvernement a indiqué plafonner le nombre de résidents temporaires à 5% de la population. Soit une baisse d’1,5% par rapport au pourcentage actuel. Si Marion Ziller assure que le système pour obtenir la résidence permanente sera de plus en plus compétitif, elle explique aussi qu’il est avantageux de faire un métier en demande. « Depuis juin 2023, ils s’autorisent à choisir des personnes dont les points sont moins élevés mais qui ont des compétences spécifiques comme la maîtrise du français », appuie-t-elle.
Des employeurs encore peu inquiets
Du côté des employeurs, les inquiétudes se manifestent encore peu. Michel Gagnon, propriétaire du restaurant Crêpe Montagne, a reçu 80 candidatures pour un poste cette année. « C’est un centre de ski ici, on attire surtout la jeunesse et des résidents temporaires. Avec les réseaux et internet, Whistler est devenue accessible pour beaucoup d’immigrants », pose-t-il. Selon lui, les difficultés à recruter et à fidéliser des employés est un problème de longue date dans le secteur. Et depuis plusieurs années déjà les patrons cherchent des solutions.
À Whistler, le principal atout est de proposer un logement. « C’est la première question que posent les jeunes quand ils postulent », assure Michel Gagnon. Le manque d’accès à un logement est la principale raison avancée par le gouvernement pour justifier ces nouvelles mesures. « Mais la crise du logement a toujours existé. Et puis c’est quoi la crise du logement : ce sont les immigrants qui arrivent ou les propriétaires qui laissent leur maison secondaire vide », poursuit le chef d’entreprise en souriant.Dans une note officielle publique, la Chambre de commerce du Canada a dénoncé la réduction des quotas. « La réduction importante de notre main-d’œuvre aura un impact sur des milliers d’employeurs au Canada qui peinent à trouver la main-d’œuvre dont ils ont besoin pour fonctionner et croître », peut-on lire. Localement, la chambre de Whistler n’a pas répondu dans les délais impartis de cet article.