Me voilà face à un intéressant projet : écrire une chronique qui n’a ni queue ni tête. À priori cela peut paraître fastidieux. Détrompez-vous : le défi de cet exercice mental, au contraire, mérite que je m’y attaque en m’y jetant la tête la première. Je me dois d’y faire face.
Mais de quel défi est-il question, allez-vous me demander, vous qui avez du front tout autour de la tête comme on dit au Québec ? Et bien ! voilà : il s’agit d’écrire une histoire, en faisant appel à mes quelques méninges, dans laquelle des expressions de la langue française liées au corps humain figurent au sein de chaque phrase du récit. Comme vous pouvez le constater, car vous avez les yeux bien en face des trous, l’aventure a déjà commencé.
Elle se poursuit sans que cela me coûte les yeux de la tête ou la peau des fesses. Tout d’abord, afin d’atteindre mon but sans encombre, je suis conscient qu’un peu d’huile de coude va s’avérer nécessaire. De plus, il est essentiel pour moi de connaître sur le bout des doigts l’essence du contenu de mon propos sans pour autant me prendre pour le nombril du monde. Ne voulant surtout pas me mettre les pieds dans le plat, je me permets de tourner au moins sept fois ma langue dans ma bouche avant d’écrire un mot car je ne tiens pas à me faire passer pour un casse-cou ou un casse-pied de la littérature française.
Certains de mes amis, ceux qui ont le cœur sur la main, ont offert de me donner un coup de pouce. J’ai évidemment refusé sans pour cela chercher à les mettre à l’index. Je ne tiens pas à ce qu’ils aient une dent contre moi. Les autres, je peux les compter sur les doigts de la main, m’ont fait savoir qu’ils n’avaient pas l’intention de bouger le petit doigt pour m’aider dans la tâche que je me suis confiée. Tout en faisant la sourde oreille, j’ai serré les dents, bien que l’envie de leur tordre le cou m’a longtemps démangé.
Plongé jusqu’au cou dans mon œuvre, je n’ai pas vu venir le coup. À force de me casser la tête je suis maintenant sur les rotules. Encore une fois je pense avoir eu les yeux plus gros que le ventre. De fait, il m’a manqué un peu de cervelle lorsque j’ai pris la décision de raconter une histoire qui ne tient pas debout. Certes je n’ai pas eu froid aux yeux mais en revanche j’ai manqué de flair. Ma voisine m’avait pourtant mis la puce à l’oreille : « Toi qui ne vois jamais plus loin que le bout de ton nez, tu devrais savoir que tu n’as pas l’estomac assez solide pour oser t’aventurer dans pareille entreprise ». Elle avait raison et son propos n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd mais, par fierté et vexé, en guise de réponse je lui ai fait un pied de nez. Elle n’a pas apprécié mon geste et, contrairement à son habitude, elle ne s’est pas jetée à mon cou en me quittant. Elle m’a simplement tourné le dos. Sur le coup ça m’a fait de belles jambes mais à bien y penser je crois qu’elle en avait gros sur le cœur.
Mon oreille me dit qu’elle n’est pas prête à me pardonner ce pitoyable comportement. Elle n’est pas du genre à tendre l’autre joue lorsque quelqu’un l’importune. Moi aussi, tout comme elle, je suis plutôt adepte de la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. Je suis du type belliqueux lorsque le sang me monte à la tête. Les mauvaises langues prétendent que j’ai mauvais caractère. Les bras m’en sont tombés en entendant cela. Ce qui ne m’empêche pas de dormir sur mes deux oreilles quand vient la nuit. Après tout, tout bien considéré, ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre. Ce ne sont que des ouï-dire. Je dois quand même, malgré tout, faire attention à ce que je dis : les murs, je ne l’oublie pas, ont des oreilles.
Quoi qu’il en soit, face à ces rumeurs, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai les nerfs à fleur de peau. Pas question toutefois de fuir en prenant mes jambes à mon cou. Savez-vous pourquoi j’ose tenir tête ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh bien ! voilà pourquoi : j’ai les bras longs et je suis en cheville avec le patron de mon journal.
Autant l’admettre, mes plaisanteries, plutôt douteuses, sont un tant soit peu tirées par les cheveux. Dans l’ensemble, je le reconnais, je n’y suis pas allé de main morte ni avec le dos de la cuillère. À croire que je suis sorti tout droit de la cuisse de Jupiter.