Aux antipodes de leurs compatriotes montréalais, torontois ou ceux de la région d’Ottawa, les Libanais de Vancouver se distinguent par une quasi – absence des clivages politiques ou religieux qui affectent profondément leur pays d’origine. « La politique divise, mais la culture rassemble », affirme Nick Kahwaji, le consul honoraire du Liban à Vancouver. Il résume par cette observation les particularités de l’immigration libanaise dans l’Ouest canadien et énumère ensuite les différentes facettes de la présence de cette communauté, estimée à environ 8 500 membres.
Hassan Laghcha – IJL- Réseau.Presse – Journal La Source
« Au Liban, tout est politique. Les Libanais de l’Ouest canadien ont toujours eu la conviction que les clivages idéologiques et politiques constituent un obstacle à leur cohésion socioculturelle », souligne Nick Kahwaji. Il rappelle, à cet égard, l’un des premiers faits marquants de cette immigration. La création en 1912 à Vancouver du premier club libanais au Canada qui deviendra, par la suite, la Société libanaise de la Colombie-Britannique.
Le contexte socio-politique, culturel et économique particulier à la Colombie-Britannique semblerait encourager un état d’esprit positif qui est partagé par la majorité des membres de la communauté libanaise. Parmi ces ressortissants du Pays du cèdre figurent, entre autres, Nancy, 28 ans, Ali, 34 ans et Karam, 31 ans, qui sont trois étudiants à Vancouver. Ils constatent à l’unisson que le trait commun des événements culturels et artistiques, c’est celui d’être rassembleur.
« Ici, à Vancouver, il existe une sorte de désir collectif et spontané d’éviter les débats et controverses politiques ou idéologiques, souvent source de tensions, afin de préserver une bonne ambiance lors des rencontres », avancent-ils unanimement. En comparant l’atmosphère d’ici à celle qui règne à Montréal, où ces étudiants rendent fréquemment visite à leurs proches et amis, et qui sont, selon eux, souvent marqués par une politisation excessive des discussions entre Libanais, Syriens et autres ressortissants du Moyen-Orient.
« Peut-être cela reflète-t-il une différence sociologique entre l’esprit francophone et celui des anglophones », suggèrent-ils, comme une hypothèse pour expliquer cette distinction culturelle.
Le parcours de Nick Kahwaji, lui-même, atteste de cette particularité de la région du Pacifique. Il se souvient de ses débuts en Colombie-Britannique lorsqu’il a rejoint sa famille en 1989, alors que la guerre ravageait son pays natal.
« Je me suis dit : quelle chance de pouvoir vivre dans un beau pays choyé par la nature et marqué par un contexte socioculturel sain qui ne favorise guère les clivages politiques et religieux. » Cet esprit guidera ce dentiste de profession dans ses activités communautaires. Son dévouement lui permet d’accéder à la présidence de la Société libanaise de la Colombie-Britannique et par la suite à celle de l’Union culturelle libanaise mondiale, avant d’être désigné consul honoraire du Liban à Vancouver en 2018.
Justement, ces deux principales structures organisationnelles de la vie communautaire libanaise mettent l’accent sur leur caractère apolitique et non religieux. Parmi leurs activités annuelles, la célébration du Nouvel An dans la pure tradition du pays du cèdre, le pique-nique de la Journée des membres, le déjeuner des dames, la soirée libanaise, entre autres activités récurrentes.
Mais, l’événement majeur du calendrier libanais est la Journée internationale de l’immigrant libanais célébrée la deuxième fin de semaine du mois de mars, mois de la francophonie. « C’est l’occasion de mettre l’accent sur le lien profond de la communauté libanaise à la francophonie, notamment par la programmation d’événements en partenariat avec les organismes francophones de la Colombie-Britannique tels que l’Alliance française », indique M. Kahwaji.
L’émigrant libanais sur un piédestal !
En 2023, la mobilisation des leaders communautaires a donné lieu à deux réalisations de grande importance pour la diaspora libanaise. La proclamation du mois de novembre « Mois du patrimoine libanais au Canada ». L’édition 2024 de cet événement a été notamment marquée par l’élan de solidarité des Libanais envers leur pays meurtri, lors d’une collecte de fonds organisée le 23 novembre dernier au jardin botanique VanDusen à Vancouver. La deuxième réalisation majeure est l’inauguration, en septembre 2023, de la Place de l’immigration libanaise à Victoria.
À ce sujet, Nick Kahwaji souligne : « Il a fallu 20 ans d’efforts soutenus auprès des autorités locales et provinciales pour que ce monument puisse enfin voir le jour ! » Ce musée à ciel ouvert, trilingue (anglais, français et arabe), a été érigé dans le port de Victoria. Il retrace les grandes étapes de l’immigration libanaise, depuis les premières vagues à la fin du XIXᵉ siècle. La statue de l’Émigrant libanais rend hommage aux pionniers ayant marqué l’histoire de cette migration dans l’Ouest canadien. La plateforme est inspirée des hippodromes phéniciens et romains. La place illustre également le rôle crucial du transport ferroviaire, dès les années 1880, dans le déplacement des premiers émigrants libanais. Ces derniers, fuyant les persécutions de l’Empire ottoman, rejoignaient alors la vallée de la Bekaa et le port de Beyrouth.
Depuis, la diaspora libanaise s’est diversifiée et s’est enrichie énormément par des profils d’un certain calibre professionnel : des intellectuels, des artistes, des journalistes, des universitaires, des médecins spécialisés, des ingénieurs en nouvelles technologies, etc. Mais les manifestations les plus visibles de cette présence sont incontestablement les multiples enseignes Nuba, Basha, Jam Jar…et surtout le fleuron international de la gastronomie libanaise Zaatar W Zeit dont « la première filiale canadienne a été lancée justement ici à Vancouver », se plaît à dire Nick Kahwaji, visiblement fier de l’apport des Libanais britanno-colombiens à la diversité canadienne.