La crique de Bamfield, sur la côte pacifique de l’île de Vancouver, a la particularité d’avoir des eaux plus chaudes que les côtes extérieures. Elle regorge d’une biodiversité marine importante mais est à la fois en première ligne du dérèglement climatique. Un terrain d’exploration unique pour les scientifiques.
Suzanne Leenhardt – Réseau.Presse – Journal la Source
L’océan Pacifique d’un côté, la fôrêt pluviale de l’autre. Sur la côte ouest de l’île de Vancouver, la station marine de Bamfield surplombe la rive de quelques mètres. Parmi les scientifiques du laboratoire, une équipe de chercheurs tente de faire repousser des forêts de varech dans l’océan. Ces grandes algues brunes qui poussent sur de la roche de fond constituent un habitat précieux pour des centaines d’espèces telles que le saumon ou le hareng. Elles sont menacées par le dérèglement climatique, et les scientifiques étudient comment des variétés de cette plante marine s’adaptent à des eaux plus chaudes.
Avec ses eaux tempérées, la crique de Bamfield permet d’imaginer à quoi pourrait ressembler les océans dans un futur proche. Reconnue sur la scène internationale, la station marine a accueilli en octobre dernier une délégation du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le plus grand centre de recherche français. L’objectif est de sceller un partenariat avec les trois stations françaises de Roscoff, Villefranche-sur-mer et Banyuls-sur-mer en France et mettre en commun des méthodes de travail.
« L’océan et les espèces végétales et animales qui le peuplent sont encore très mal connus et doivent être étudiés pour permettre de le protéger et de conserver la biodiversité extrêmement riche qu’il abrite », appuie Géraldine Dantelle, attachée de coopération scientifique et universitaire auprès de l’ambassade de France, basée au consulat général de France à Vancouver.
Un accès direct à l’océan
Sur la côte Ouest, l’accès direct à l’océan n’est pas toujours évident. À Bamfield, les chercheurs ont l’avantage de pouvoir travailler avec de l’eau directement prélevée du rivage. Une pompe située à 25 mètres de profondeur achemine l’eau jusqu’à un réservoir de stockage de 19 000 litres et assure un flux constant d’eau. « Cela permet donc le maintien en vie d’organismes végétaux ou animaux, même les plus fragiles », témoigne la chercheuse.
L’océan est une vitrine du dérèglement climatique : acidification, hausse du niveau de l’eau, hausse des températures, réduction de la concentration en oxygène sont autant d’indicateurs qui affectent les écosystèmes. Des recherches sur les populations d’oursins, d’escargots et étoiles de mer sont menées. Mais un poisson fait l’objet d’une étude particulière : l’épinoche à trois épines. « Cette espèce a colonisé l’eau douce après la dernière période glaciaire et a évolué dans ces eaux douces de manière différente de l’épinoche à trois épines que l’on retrouve dans l’océan», explique Géraldine Dantelle. On la retrouve dans des lacs de la province.
Sensibiliser pour protéger
Au niveau universitaire, les cinq établissements de l’Ouest canadien qui gèrent la station collaborent avec des chercheurs français mais le partenariat des stations marines vise à « faire un effet de levier », souligne Géraldine Dentelle. « En 2025 se tiendra à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC-3). Plusieurs chercheurs de la Colombie-Britannique et de l’Alberta devraient participer au congrès scientifique One Ocean Science Congress, qui se tiendra en marge de UNOC-3», précise la chercheuse chargée de renforcer ces coopérations de recherche entre la France et le Canada. Comprendre les évolutions pour mieux anticiper les impacts et trouver des solutions : la démarche scientifique prend du temps. Mais les chercheurs ne travaillent pas en vase clos.
Le lien à la terre
La station Bamfield, située dans la réserve nationale du Pacific Rim, est aussi sur les terres traditionnelles de la Première nation Huu-ay-aht. Depuis la signature d’un traité en 2011, la communauté a une autorité gouvernementale et regroupe 900 résidents. Premiers témoins des bouleversements climatiques, les membres résidant dans les villages aux alentours sont engagés dans les opérations de recherche et de préservation comme l’élimination d’oursins et d’espèces envahissantes mais aussi sur les stocks de saumon.
Depuis plus de 30 ans, Stella Maureen Peters, membre du conseil exécutif, entretient les partenariats entre la Première Nation et le centre scientifique. « Le centre de Bamfield a toujours été respectueux de notre lien avec la terre et l’océan. Notre partenariat va dans les deux sens : on les aide et ils nous aident », témoigne John Alan Jack, le chef exécutif de la Première nation Huu-ay-aht. Par exemple, ils ont participé à la restauration de plages où sont récoltées des palourdes, grâce à une méthode traditionnelle basée sur les marées. Ils opèrent également ensemble pour leur système d’égout.Gérer les ressources de manière soutenable et prendre des décisions en fonction des impacts sur 100 ou 200 ans, fait partie des valeurs de la Première Nation et est inscrit dans leurs lois. « Nous sommes inquiets des impacts du dérèglement climatique sur notre habitat. Je pense qu’en combinant les connaissances traditionnelles et la science, nous prenons les bonnes décisions », souligne l’élu.