Mes parents croient en Dieu, pas moi

Mes parents croient en dieu, pas moi

Illustration par Afshin Sabouki

Recevoir une éducation religieuse, puis s’en détacher pour devenir agnostique ou athéiste, est le lot quotidien de plusieurs millions de jeunes. Pourtant s’émanciper des cro­yances de ses parents ne se fait pas toujours sans heurt.

« Mes parents sont jainistes – une religion indienne – ils croient profondément en leur dieu, se rendent au temple et prient souvent. Je suis devenu athée à l’âge de 14 ans, au milieu de la période du collège » se confie Hemant Mehta, jeune américain diplômé de l’Université d’Illinois à Chicago, auteur du livre I Sold My Soul on eBay (J’ai vendu mon âme sur eBay, Ed Waterbrook presse, 2007), qui s’est vendu à 10 000 exemplaires depuis sa sortie et blogueur sur le site FriendlyAtheist.com. « Ils ont été déçus de l’apprendre et le sont toujours, mais dès qu’ils ont réa­lisé que mes valeurs n’avaient pas changé et que j’étais toujours une personne décente, ils ont commencé à l’accepter un petit peu plus », reprend-t-il avant de préciser : « Notre relation est bonne aujourd’hui ». Pourtant pour ses parents, cette nouvelle demeure difficile à accepter : « leur culture est fortement liée à la religion et aux pensées supernaturelles, deux choses que je ne considère pas comme vraies », souligne-t-il, « mais ils ne peuvent pas me forcer à les accepter ».

« Les parents préconçoivent l’idée de ce qui est bien ou mal », selon M. Todd Martin, sociologue.

Pourquoi les parents ressen­tent le besoin de transmettre cet héritage culturel et religieux, qui peut être parfois synonyme de contrainte pour les enfants ? « Les parents ont la plus grande influence sur les enfants, car ils entrent en interaction avec eux à leur plus jeune âge. Autrement dit, c’est le premier cercle de socialisation, ils  préconçoivent l’idée de ce qui est bien ou mal, et transmettent ce qui leur semble le plus important », souligne Todd Martin, doctorant en socio­logie au département de sociologie de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC).

« Et en ce sens, la religion est une manière d’arranger les valeurs et les croyances, qui véhicule une certaine continuité familiale et une certaine stabilité, à l’échelle d’une communauté ou d’une société ».

« Nous allions à l’église le dimanche, j’ai fait ma première communion à l’âge de 6 ans, puis j’ai commencé à lutter contre mes croyances à partir de l’âge de 14 ans », explique pour sa part Ian Cromwell, un jeune vancouvérois de 27 ans, bénévole pour le Centre for Inquiry – qui promeut la sécularisation de la société – membre du Vancouver Secular Party (Parti laïque vancouvérois), musicien et blogueur, dont le père est un ancien prêtre de l’Eglise catholique romaine. « Je ne pouvais plus concilier les choses que j’étais supposé croi­re telles que l’immoralité de l’homosexualité, ou encore la non-utilisation des préservatifs, avec les choses qui me paraissaient si éthiques telles que le principe de ne causer aucun tort à autrui. », reprend Ian, devenu athée lors de la messe de Noël de l’année de ses 23 ans. Ses parents, déçus, ont vu selon lui plusieurs signes avant-coureurs avant ce qu’il appelle son « coming-out » athéiste. « Je serai surpris s’ils ne souhaitaient pas que je redécouvre la religion, au moment de me marier ou d’avoir des enfants », conclut-il.

« Mes parents nous disaient que Dieu détient une réponse à chacune de nos questions », explique Mavaddat Javid, 29 ans, étudiant à UBC, d’origine ira­nienne, qui, encouragé par ses parents, a été à  un moment de sa vie très impliqué dans la vie de son ancienne communauté religieuse, les Bahaïstes. Alors qu’il tentait de convaincre des athées de rejoindre son mouvement, à l’apogée de son acti­visme, il a commencé à ressentir un certain embarras. « Plus je regardais de près les raisons pour lesquelles notre prophète parlait au nom de Dieu, moins elles me paraissaient convaincantes ou rationnelles », explique-t-il, notamment sur le plan de la condamnation par la foi Bahaïste de l’homosexualité ou encore du rejet du principe selon lequel l’homme descendrait d’un animal. Pour Mavaddat, ses parents ont ressenti que leur propre foi était menacée à l’annonce de son athéïsme, c’est alors qu’ils sont devenus selon lui très « défensifs » quant à leur religion.

De l’éducation à l’esprit critique

A la question : que voudriez-vous transmettre à vos enfants ? la réponse est unanime. «Dans le futur, j’aimerais transmettre à mes enfants la valeur de l’esprit critique », explique Joseph Bardsley, nouveau vancouvérois de 27 ans, originaire de Calgary, dont la foi catholique a été notamment ébranlée par des lectures d’auteurs scientifiques tels que Carl Sagan, célèbre pour son scepticisme. « J’aimerais que mes enfants décident pour eux-mêmes ce qu’ils veulent croire et l’acceptent sur la base de leur propre recherche, de leur propre analyse et réflexion », poursuit ce professionnel de la communication, impliqué notamment dans plusieurs organisations scientifiques.

Pour Ian, Mavaddat et les autres ont le même son de cloche. « Les enfants n’ont pas à croire la même chose que vous, mais ils doivent avoir la capacité de penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes », pense Ian. « A mon sens, vous avez échoué en tant que parents si vous enfoncez vos propres croyances dans le crâne de vos enfants », assène-t-il.

 Pour le sociologue Todd Martin, la religion étant un système de principes et de valeurs, le fait de ne pas croire en une religion est en ce sens, une religion en soi, puisque dotée de principes et de valeurs. Et selon lui, notre époque assiste à « une polarisation du monde entre d’un côté les individus n’ayant aucune conviction religieuse, et les individus dont les convictions deviennent de plus en plus extrêmes et de plus en plus conservatrices ».