Dimanche matin, à 8h30, vous arrivez à la station de ski pour la première leçon de votre vie. Impressionné par la vue qui s’offre à vous, vous êtes surexcité en pensant à tout ce qui vous attend et vous vous imaginez déjà en train d’exécuter une descente fulgurante dans un slalom endiablé! Enfin, vous allez faire du ski alpin! Emmitouflé comme si vous alliez affronter l’Everest, vous sortez de la voiture, tel un Bonhomme Michelin, et vous vous dirigez tout droit vers le coffre, afin d’enfiler vos bottes.
Mais voilà qu’après avoir inséré un premier pied, celui-ci reste coincé dans le long couloir menant à la chaussure, à la manière d’une ballerine qui ferait des pointes. Calmement, vous essayez de l’extraire en étirant les deux énormes langues de plastique de chaque côté. Ho hisse! Ho hisse! Mais surprise, votre pied demeure piégé et il commence soudainement à vous faire souffrir.
L’exaltation éprouvée à la vue des pentes s’est complètement évanouie! Vous vous asseyez sur le bord du coffre, prenez une grande inspiration et fixez intensément votre bottine. Un grand mathématicien n’a-t-il pas dit un jour que tout ce qui entre doit ressortir ? Vous tentez donc à nouveau de mettre en pratique cette réconfortante théorie.
Dix minutes plus tard, en nage jusqu’à la racine des cheveux, vous regardez l’heure, 8h55! La leçon débute à 9h! En proie à une soudaine envie d’hurler votre déroute, votre fiston passe alors à côté de vous, et vous lance sur un ton découragé : Maman, veux-tu que je t’aide? Vous acceptez son offre avec la reconnaissance de celui qui vient d’être sauvé d’une mort certaine. Et en moins de deux, vous voilà le pied confortablement installé au fond de l’étau. Et de une!
Vous arrivez à la leçon de ski avec cinq minutes de retard, un ski dans chaque main, la démarche décontractée de Robocop et l’air crevé comme si vous veniez de gravir la montagne à pied! Le moniteur bronzé vous accueille avec toute la blancheur de sa dentition et du haut de sa bonne humeur dominicale, vous demande: Première fois? … C’est si évident?!!! Il vous annonce qu’à la fin de la leçon, vous serez capable de descendre seule, la pente-école située juste devant vous. En solo, vous éclatez d’un rire nerveux. Ils sont fous ces moniteurs!
Une fois arrivé au sommet, c’est seulement au moment d’entamer votre première descente, les genoux fléchis et les skis en pointe de tarte, que vous réalisez que vous n’avez jamais fait de ski et que peut-être, vous ne serez pas capable de skier… Jamais au grand jamais, même au magasin d’articles de sports, après avoir payé la monumentale facture, il ne vous est venu en tête que peut-être, finalement vous n’êtes pas un être capable de faire du slalom sur les pentes…ou que tout simplement vous n’aimeriez pas ça! Vous vous êtes lancé à corps perdu dans cette folle aventure sans jamais prendre un instant pour vous poser la vraie question : Est-ce que la montagne voudra de moi???
Moment d’hésitation. Vous avez maintenant les jambes qui tremblotent et des sueurs froides dans le dos. Le moniteur se place alors devant vous, les dents toujours en exposition, et il vous recommande très sereinement : Allez-y doucement. Allez-y doucement? Comment voulez-vous y aller doucement quand vous êtes au sommet d’une pente présentant un dénivelé de 45 degrés sur 21 mètres de longueur et que vous avez comme seul frein, deux patins bien fartés qui ne vous servent qu’à prendre de la vitesse?!! Le moniteur radieux change soudainement d’expression. Le sourire laisse place à une moue dubitative et un froncement de sourcil: Excusez-moi madame mais où sont vos bâtons?
Des bâtons?!! Mais quels bâtons?!!
Soudainement, vous les revoyez, couchés au fond du coffre de la voiture… Après avoir emprunté les bâtons du moniteur, vous voilà enfin prête à dévaler le versant. C’est avec la peur au ventre que vous vous élancez, droit devant! Ça y est, vous skiez!!! Votre cœur bat à cent mille à l’heure, tous vos sens sont en alerte et votre taux d’adrénaline est à son paroxysme. Vous ressentez un mélange d’excitation et d’effroi à la vue des arbres qui défilent le long de la pente et au sifflement du vent qui s’intensifie de chaque côté de votre tête. L’ivresse totale!
Le moniteur derrière vous, vous avise qu’il faut maintenant bifurquer vers la gauche. Comment fait-on déjà? Il faut peser sur le ski du côté où l’on veut tourner, ou sur le ski opposé? Pendant que vous réfléchissez, une ombre grossissait à toute allure à votre droite. Et avec terreur, vous hurlait subitement : ATTENTIOOOONNNN! Le temps de réagir, il était trop tard. La collision fut foudroyante. Vous avez été agrippée et projeté sur le côté, telle une truite fraîchement pêchée. Votre moniteur arrivait deux secondes plus tard, freinant devant votre visage comme un joueur de hockey, vous envoyant en pleine figure une bonne rasée de neige… comme si vous n’y aviez pas encore suffisamment goûté!!!
Est-ce que ça va? Vous demande-t-il sur un ton inquiet. Encore sous le choc de l’impact et avec de la neige plein le visage, vous tentez de vous relever quand, en dirigeant sans le vouloir vos deux skis face à la descente, ils se sont remis à glisser! À demi-levée, vous êtes retombée assise sur vos deux patins et dans un cri d’horreur, vous êtes repartie à grande vitesse vers le bas de la pente! Le moniteur en état d’urgence, s’est alors élancé devant vous et s’est mis à ordonner aux skieurs de faire de la place! Une avalanche n’aurait pas su créer autant d’émoi! C’est complètement recroquevillé sur vous-même, la tête entre les deux jambes, que votre course folle s’est achevée dans le filet de protection au bas de la pente! L’art de terminer une descente en beauté, vous l’aviez!
C’est seulement une heure plus tard, après avoir réussi à vous dépêtrer du filet que, devant un bon chocolat chaud, vous avez dû admettre que le moniteur avait eu raison. Vous aviez bel et bien descendu seule cette pente et ce, avant la fin du cours! Oui, cette journée-là, vous avez vraiment reçu une leçon de ski… Vivement l’après-ski!