Il y a huit ans, j’ai quitté Edmonton, en Alberta pour déménager ici, à Vancouver. Il me semblait alors que mon expérience de vie au Mexique m’avait amplement préparée pour un simple changement de province.
Mais j’avais tort.
J’avais beau être née et avoir grandi au Canada, parler la même langue, partager la même culture, les mêmes normes sociales, la même devise et la même nourriture, mes rêves d’une nouvelle vie se sont vite volatilisés. Pourquoi n’ai-je toujours pas de travail ? Comment ça, je ne peux pas avoir mon propre médecin? Et pourquoi tous ces gens séduisants portent-ils des lunettes style années 80 aussi moches ?
A la réflexion, mes attentes étaient irréalistes, voire naïves.
Au Mexique, j’avais dû faire face à des chauves-souris et à des cafards, à un sexisme éhonté, à un système de plomberie défaillant, sans compter la barrière de la langue vu mon espagnol rouillé. J’avais malgré tout un excellent travail, je me faisais facilement des amis et je profitais de 358 jours de beau temps par an.
En arrivant à Vancouver, j’étais une jeune maman qui repartait à zéro. Je n’étais plus seule, indépendante, avec un bon travail et des amis. J’avais de nouvelles responsabilités et une montagne de nouveaux défis personnels.
J’ai passé la première année à mettre en place la garderie, à trouver un travail et à vivre en famille dans un espace exigu, sans argent. Mon amour-propre faiblissait et je regardais tout autour de moi d’un oeil sombre.
Je pleurais. Beaucoup.
Huit ans, c’est ce qu’il m’a fallu pour enfin commencer à me sentir chez moi – et je ne suis pourtant pas une extraterrestre coincée entre deux dimensions.
Cela m’a fait réaliser que le choc culturel n’a rien avoir avec son origine, ni avec la distance que l’on a parcouru. Peu importe que vous parliez la même langue ou que vous pensiez être préparé ou non. Le choc culturel nous affecte tous.
Heureusement, ça ne dure pas éternellement.
Après des mois, parfois des années, dans un nouvel environnement, on trouve ses repères et on ajuste son rythme à celui de son nouveau chez soi, que l’on ait choisi Vancouver, New Delhi ou San Francisco.
Les expressions locales, les transports, la météo, tout devient familier. On découvre ses cafés favoris, on trouve (enfin !) un travail et on se fait de nouveaux amis. Sans s’en apercevoir, on finit par critiquer, comme les autres, le logement, la politique et la météo locale.
Quand je regarde ma ville aujourd’hui, je m’émerveille sur ses angles, ses couleurs, ses sons. Je me plains du bus, des odeurs et des conducteurs avec reconnaissance parce que j’ai vécu pire et que je me suis battue pour en arriver où j’en suis.
Je vous regarde, vous qui venez de loin et avez subi solitude, discrimination et souffrance, imaginant que la vie sera meilleure ici, et cela me remplie d’admiration et de compassion.
Quand je patiente pour passer ma commande dans mon café préféré et que vient mon tour, je souris à la serveuse aux tatouages.
Elle porte des lunettes années 80.
Traduction Aurore Thiercelin