Chirurgie : du traitement à la consommation

Photo par ReSurge International, Flickr

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Le chirurgien s’instruit aux dépens de l’orphelin, si ce proverbe arabe n’est pas dénué d’un certain humour, il peut aussi faire froid dans le dos. La première image qui vient à l’esprit à l’évocation du mot chirurgie, est celle d’un corps allongé sur une table d’opération, de sang et de la danse des bistouris orchestrée par les chirurgiens. Malgré les progrès de la médecine, les barrières entre la vie et la mort restent infimes. Le don d’organes en est le meilleur exemple, cristallisant toutes les peurs autour de la chirurgie.

Des perceptions différentes

La chirurgie continue de faire peur et de nourrir les imaginaires. Certaines pratiques chirurgicales peuvent se retrouver déviées de leurs pratiques premières. C’est le cas de la césarienne en Corée du Sud. Jaram, coréenne de 29 ans, effrayée par la chirurgie, explique : « certaines femmes doivent attendre et au final la césarienne doit se faire, donc elles la choisissent dès le départ. C’est moins douloureux, même si c’est plus long pour s’en remettre. » La

césarienne habituellement pratiquée en cas d’urgence, ou en cas de forts risques pour le bébé, se transforme en acte, non pas de prévention, mais de négation de la mise au monde. « Elles ont leurs bébés comme ça, comme si on le sortait d’une boîte ! ». Chaque année, 40% des femmes coréennes qui accouchent font ce choix, et le demandent aussi dans leur ville d’accueil ici à Vancouver. Même si la notion de vie est encore préservée, les médecins accèdent plus fréquemment à leur demande car ils ont peur des procès qui pourraient leur être intentés suite à des complications, quand la naissance se passe de manière traditionnelle.

Autre pays, autre mœurs: la Serbie. Marko Djokic, serbe de 27 ans, apprécie l’attitude professionnelle des chirurgiens à Vancouver. Chez lui, la corruption et les pots de vin en médecine sont monnaie courante depuis une vingtaine d’années. Impossible de bénéficier de soins corrects sans ce recours. Sa mère en a fait les frais dans un hôpital public. « Elle a subi une intervention à l’hôpital l’an dernier. Après l’opération elle allait vraiment mal, elle est retournée voir le docteur pour le suivi, mais il lui a dit qu’il n’avait pas le temps de s’occuper d’elle. Mon frère a donné 50 euros au médecin ! Le jour suivant il a fini le travail. Je leur ai dit de ne pas lui donner l’argent car c’est les encourager à continuer, mais c’était aussi la seule option pour elle d’aller mieux. » Il déclare « je préfère mourir que d’avoir une chirurgie en Serbie ! » Non pas que les compétences médicales soient remises en cause, mais l’éthique oui ! L’économie est tellement mauvaise que l’argent fait loi, même lorsque la vie des patients en dépend.

Science et spiritualité

Mais au-delà du corps et même lorsqu’il s’agit d’une question de vie, la conscience et les croyances entrent en jeu. Une transplantation et un don d’organe ne sont jamais anodins. Si chacun souhaite vivre le plus longtemps possible, il n’est pas toujours évident d’être en accord avec sa religion, sa spiritualité et sa culture. Ainsi, dans une étude sur le don d’organes, Marie Lagacé, infirmière montréalaise, explique dans un mémoire que beaucoup de personnes ignorent la position exacte de leur religion sur ce qui est possible de faire, d’un point de vue médical, sur un corps sans vie. Les religions judaïque et islamique encouragent la préservation de la vie, et donc la transplantation. Ces personnes peuvent donc l’accepter. A contrario, chez les témoins de Jéhovah, la transfusion sanguine est interdite depuis 1945 même en cas d’urgence vitale, ce qui rend les actes chirurgicaux quasiment impossible. Pourtant, les adeptes de ce mouvement acceptent le reste de la médecine traditionnelle. Des croyances qui demeurent paradoxales. Ainsi, le bouddhisme accepte la transplantation mais reste réticent au prélèvement d’organes. Selon les croyants, cela peut déranger le processus de vie et de mort, mais dans un même temps ajoute un bon karma au donneur. Si le corps est sacré car donné par Dieu, la vie l’est davantage.

Des progrès scientifiques qui rassurent

L’organisme BC Transplant œuvre dans ce sens pour que les dons d’organes continuent à progresser. En Colombie-Britannique, 847 422 personnes sont enregistrées comme donneurs, soit 18% de la population de la province. Une étude publiée par ce même organisme en juin 2012, indique qu’il y a eu 201 transplantations contre 467 en attente. Dans une ville multiculturelle, il est important pour les professionnels de la santé de bien connaître les différences culturelles et spirituelles afin de les respecter, tout en faisant progresser le nombre de donneurs, ce qui n’est pas incompatible à l’égard de diverses religions.

Pour certaines communautés, les progrès de la médecine arrangent aussi les affaires de la chirurgie. Les actes esthétiques lourds se sont ainsi banalisés comme le souligne Jaram, « certains immeubles ont leur service de chirurgie plastique. Beaucoup se font refaire le nez à l’occidental, surtout les hommes, ou encore, agrandir les yeux. Même ma mère m’a conseillé de faire de la chirurgie pour mon nez. Je n’aime pas cela, ça paraît artificiel. Et une fois qu’ils commencent, ils veulent continuer car leur visage n’est plus aussi harmonieux ». Pour Helena Bischoff, brésilienne de 21 ans, la jeunesse au Brésil consomme la chirurgie comme n’importe quel autre produit de consommation. « C’est un tel business, les jeunes ne réfléchissent pas, se croient immortels quand ils décident d’avoir une opération. Ils n’ont rien à perdre, ils veulent juste paraître plus beaux.» Selon elle, la chirurgie est plus sûre ici, les médecins sont plus qualifiés et ont une attitude plus professionnelle. Ils savent refuser une opération à risques élevés. Il y a plus d’information disponible au public, les gens se renseignent davantage aussi, ce qui engendre plus de sécurité et de transparence. Les gens sont plus informés de manière générale et succombent moins à l’effet « mode ».

Que ce soit pour des raisons médicales ou par esthétisme, la chirurgie demeure une pratique où le risque zéro n’existe pas. Chargée de symboles, elle met en lumière certaines limites humaines et traduit de nouvelles croyances, sorte de mythologie moderne. Comme quoi le ciel et la science répondent aux croyances de chacun.