Nombreux sont ceux s’accordant à dire que les nouveaux billets canadiens en polymère ne sont pas agréables à la vue mais que cette laideur les rendrait paradoxalement plus efficaces. Collant entre eux et désagréables au toucher, ils sont pourtant bons pour l’économie dans la mesure où, à peine entre nos mains, on ne souhaite qu’une chose : s’en débarrasser. Néanmoins, ces billets plastifiés pourraient bientôt avoir un sérieux concurrent à Vancouver : le seedstock, une monnaie dite communautaire.
Pourquoi utiliser une monnaie locale plutôt que des dollars ?
La monnaie que nous utilisons tous les jours ne sert pas qu’à échanger car « une fois dépensée, elle disparait et ne revient jamais » explique Paola Qualizza, coordinatrice en charge du nouveau projet de monnaie locale seedstock. Faites le test en marquant au crayon l’un de vos billets et partez acheter quelque chose avec. Il est alors presque impossible que ce même billet retombe un jour dans votre poche. C’est comme si on utilisait une monnaie appartenant à quelqu’un d’autre et sur laquelle nous n’aurions aucun contrôle.
Pour Paola et Jordan Bober, les deux gestionnaires du projet seedstock, le fonctionnement d’une monnaie locale est différent car « elle est créée et gérée par une communauté et n’aurait pas d’intérêt à être stockée en banque ». Plus un seedstock circule, plus il prend de la valeur aux yeux de ses utilisateurs. A la différence d’un dollar canadien nomade voyageant d’un océan à l’autre, sa « petite sœur » est enracinée sur un territoire plus modeste et permet de rémunérer une communauté pour ce qu’elle peut accomplir. Les commerces et projets locaux peuvent donc vivre et de se développer par le soutien financier qu’on leur apporte. Si un dollar canadien est beaucoup plus difficile à gagner qu’à dépenser, il en est tout l’opposé pour une monnaie locale valable uniquement dans un réseau déterminé de commerces.
Si cette idée peut sembler saugrenue, il faut savoir que les monnaies complémentaires ont une longue histoire et se sont toujours développées pour protéger l’économie locale lors des récessions du commerce international. Des nombreuses faillites bancaires engendrées par la Grande Dépression de 1929, plusieurs centaines de monnaies locales furent crées en Europe et en Amérique du Nord pour permettre aux communautés de continuer à échanger biens, services et nourriture.
Ces monnaies ont ensuite progressivement disparues jusqu’en 1983, année où Michael Linton créa la monnaie LET’S dans la Comox Valley à Courtenay, sur l’île de Vancouver. Si cet homme mit en place un réseau de « monnaie ouverte », c’est parce que selon lui, chaque communauté devait être en mesure de créer sa propre monnaie librement. Aujourd’hui, son modèle s’est exporté dans plus de 2000 lieux à travers le monde.
L’agglomération vancouvéroise a donc rejoint ce réseau international en janvier dernier en accueillant le projet seedstock. Le réseau d’utilisateurs est composé de 25 structures réparties dans plusieurs villes du Grand Vancouver et a pour ambition de continuer à s’étendre avec 25 nouvelles structures en cours d’adhésion.
Comment ça marche ?
Les entreprises du réseau font un don en seedstocks à l’association de leur choix. Grâce à Internet, elles peuvent directement soutenir cette association en convertissant une somme, par exemple 10 dollars, en autant de seedstocks qu’elles pourront librement dépenser dans les commerces acceptant cette monnaie (épicerie, cafés, marché, théâtre, loisirs…). A l’inverse d’un micromécenat, on conserve toujours l’usage de notre argent. Il est également possible d’aider une association directement et d’être payé en monnaie locale.
Une fois que le principe d’une monnaie soutenant une communauté a été intégré, les actes prennent un sens nouveau. A titre d’illustration, on peut décider de soutenir un projet du Village Vancouver en lui échangeant 50 dollars contre 50 seedstocks, et ainsi, participer à financer une action qui importe, tout en conservant son argent. Avec ces seedstocks, il est possible de payer une partie de ses achats dans une épicerie membre du réseau, boire un café équitable, aller au cinéma ou apprendre à être plus autonome grâce à l’association Homesteader’s Emporium. Pour le patron de cet établissement, Rick Hawlak, la monnaie communautaire s’intègre parfaitement dans la philosophie d’autosuffisance soutenue par son enseigne. Il accepte jusqu’à 25% de seedstocks lorsqu’un client effectue un paiement, et espère que le réseau de commerces adhérents va rapidement s’agrandir.
Paola conclut par une réflexion: « Notre système monétaire, en soutenant une croissance perpétuelle dans un monde fini, nous a plongé dans un endettement insurmontable et une impasse écologique que l’on ne pourra résoudre qu’en changeant notre vision sur l’argent et la notion de richesse ». L’utilisation d’une monnaie locale pourrait donc remettre du sens dans les activités quotidiennes, comme le réalise l’agriculture biologique face à l’agriculture conventionnelle. Au lieu d’avoir une vision productiviste du « toujours plus », nous pourrions décider de respecter l’ensemble des organismes composant notre société pour permettre l’épanouissement du plus grand nombre. Alors, pourquoi ne pas changer ses billets verts contre une « monnaie verte » ?