2014, l’année où l’Écosse pense au Québec

En Écosse, quand vous dites que vous venez du Canada, les gens veulent souvent vous parler du mouvement indépendantiste québécois. Le 18 septembre prochain, les Écossais se prononceront par référendum, pour ou contre l’indépendance. Quand j’étais à Edimbourg en septembre dernier, il n’était déjà question que de ça. Pour quelqu’un qui était au Canada lors des référendums sur l’indépendance du Québec, tout semble étrangement familier. Est-ce que ça va affecter ma pension dans la fonction publique? Est-ce qu’on gardera la même monnaie? Est-ce que ceux qui le désirent pourront garder la citoyenneté britannique? Si les bases navales et militaires britanniques quittent l’Écosse, quel sera l’impact sur l’emploi?

Manifestation du Camp du « Oui » en Écosse. | Photo par Pascal Guillon

Manifestation du Camp du « Oui » en Écosse. | Photo par Pascal Guillon

Au fur et à mesure que la date du référendum approche, le Parti national écossais au pouvoir (P Q écossais) tente de rassurer tout le monde en soulignant qu’il s’agira d’une souveraineté-association. Oui, dit Alex Salmond, le premier ministre écossais, on pourra garder la livre sterling. Oui, les bases militaires britanniques pourront rester en Écosse. Oui, la frontière restera ouverte dans le cadre de l’Union européenne. Oui, la Reine restera reine en Écosse comme elle l’est au Canada ou en Australie. Oui nous pourrons obtenir les services consulaires de la Grande- Bretagne à l’étranger grâce à des accords avec Londres. Certains ne manqueront pas de se demander pourquoi il faudrait tout changer si tout doit rester pareil.

Bien sûr, ceux qui sont contre l’indépendance font valoir que rien de tout ça n’est certain et qu’une Écosse nouvellement indépendante devra négocier son adhésion à l’Union européenne et que l’Espagne y opposerait son véto (ne voulant pas donner de « mauvaises » idées aux Catalans). Certains affirment qu’ils se sentent avant tout écossais mais qu’ils n’ont pas besoin de l’indépendance pour affirmer leur fierté identitaire et qu’après trois siècles d’union avec l’Angleterre au sein du Royaume-Uni, le divorce serait trop compliqué. De fait, les sondages ne sont pas encourageants pour les indépendantistes. A peine plus d’un tiers des personnes interrogées se disent prêtes à voter oui le 18 septembre 2014.

Pour rencontrer ces séparatistes purs et durs, je me suis rendu à une manifestation devant le parlement écossais à Edimbourg. Kilts et drapeaux écossais en masse mais pas de slogans haineux envers les Anglais. La « guerre » pour l’indépendance se fait dans le respect et la politesse. « J’ai même des amis anglais » me dit un grand barbu qui tenait à souligner son ouverture d’esprit. Paradoxalement, alors que beaucoup d’Anglais sont tentés de se retirer de l’Union européenne, les séparatistes écossais sont farouchement pro-européens car cette appartenance à l’Europe garantit que tout pourrait changer du point de vue symbolique alors que rien ne changerait du point de vue pratique. Après tout, toutes les décisions importantes sont maintenant prises à Bruxelles plutôt qu’à Londres ou Edimbourg.

C’est le grand paradoxe des mouvements nationalistes régionaux dans l’Europe d’aujourd’hui. Alors que certains critiquent la toute puissance de Bruxelles qui, dans les faits, relègue les pays membres de l’Union au rang de provinces, des régions y voient l’occasion de devenir à leur tour des États indépendants. Enfin, aussi indépendants qu’il est encore possible de l’être dans l’Europe d’aujourd’hui. Ainsi, la Catalogne, la Flandre, la Corse ou l’Écosse se disent, « n’hésitons pas à quitter l’Espagne, la Belgique, la France ou la Grande-Bretagne pour devenir des États membres de l’Union européenne. » Mais ces indépendantistes « europhiles » font face à un problème de taille. Les pays déjà membres de l’Union ont un droit de véto lorsqu’il s’agit d’accueillir un nouveau membre. Donc, une Catalogne qui proclamerait son indépendance, par exemple, ne pourrait pas devenir membre de l’Union européenne si Madrid s’y oppose. Les Écossais constatent que ce qui semblait simple il n’y a pas si longtemps, peut en fait devenir très compliqué. En période de crise économique, il est logique que nombre d’entre eux hésitent. Pour le Parti nationaliste, ce référendum s’annonce mal.

S’attendant à une défaite des indépendantistes au référendum, certains commentateurs politiques prévoient que l’Écosse se contenterait d’affirmer son statut de société distincte. Cette option consisterait à renforcer petit à petit l’autonomie et les pouvoirs du parlement écossais fondé en 1998. Ces autonomistes pourront compter sur le bloc des députés nationalistes écossais au Parlement de Westminster. Encore une fois, un Canadien ne se sentirait pas très dépaysé en Écosse.