C’est une révolution qui s’opère de jour en jour depuis une quinzaine d’années. Comme une lame de fond, un phénomène naturel qui emporte tout sur son passage. Le développement de l’outil Internet transforme le métier de journaliste qui fait l’objet d’une défiance croissante dans la société. Hier, le citoyen lui faisait confiance et allait acheter son journal pour s’informer. Aujourd’hui, il est méfiant et peut rester chez lui pour avoir accès en quelques clics aux éditions en ligne de la presse locale et mondiale. Depuis Vancouver, il consulte l’édition du Jeil News de Séoul, du Times of India de New Delhi ou du Monde de Paris. Il fait lui-même le tri dans la quantité phénoménale d’informations qui circule. Dans le même temps, les apprentis journalistes voient leur formation évoluer pour répondre aux exigences de cette information en ligne. Plus de réactivité, plus de sources et moins de temps pour relater les faits et les analyser. Alors le journalisme est-il en crise ? Non, selon Taylor Owen qui s’apprête à enseigner à la rentrée prochaine à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC). Ce brillant universitaire passé par Yale et Oxford est un spécialiste des médias numériques et il croit en l’avenir de la profession : « C’est en ce moment l’époque la plus excitante pour être journaliste ! L’industrie toute entière s’est radicalement transformée et c’est maintenant que l’on redéfinit les règles. Les journalistes doivent dorénavant avoir plus de compétences techniques pour évoluer sur la toile. »
À commencer par une maîtrise des réseaux sociaux qui ont intégré le fonctionnement des grandes rédactions comme celle de Radio Canada où le tweet est bel et bien devenu une source d’information et de transmission. Pour la chef d’antenne du téléjournal de Colombie-Britannique, Julie Carpentier, « le métier est encore appelé à changer à la vitesse grand V. On en demande de plus en plus aux journalistes qui doivent produire du contenu pour la télévision, la radio, Internet et twitter. C’est un peu risqué mais finalement c’est comme une vague qu’il faut suivre, il faut s’adapter car il n’y a plus de possibilité de retourner en arrière. » Nostalgique du papier, elle se souvient encore du temps où elle épluchait le bottin téléphonique pour trouver des contacts qui aujourd’hui se dégottent en trois clics sur facebook. Gagner du temps, c’est justement ce que l’on enseigne aux futurs journalistes à l’image d’Angelina Thelmann qui est sur le point d’achever à trente ans sa formation à UBC. « Ceux qui ont suivi les mêmes cours que moi il y a dix ans n’avaient peut-être pas les mêmes attentes, mais là, le défi c’est de se battre contre la montre et de tout faire aussi vite que possible, car sinon quelqu’un va le faire plus vite que nous. Cette réactivité est devenue naturelle pour les plus jeunes générations qui maîtrisent tous ces nouveaux outils. Pour un jeune de 19 ans, tweeter, c’est comme respirer, il n’a pas eu à l’apprendre, il a grandi avec. »
Réagir plus vite, cela signifie aussi augmenter le risque d’erreur. Si le directeur de l’école de journalisme en est conscient, il insiste surtout sur le nouveau lien qui unit le journaliste à son public. Pour Peter Klein, « il y a plus d’interaction avec les lecteurs, les téléspectateurs et les auditeurs qui peuvent s’exprimer pour corriger ou en savoir plus. »
Mais dans le futur, ce ne seront parfois plus des personnes physiques, mais des algorithmes qui transformeront des données brutes en articles. De plus en plus de journaux et de sites internet à l’image de celui du magazine Forbes ont déjà recourt à l’intelligence artificielle dans les domaines du sport ou des affaires en se basant sur des statistiques et des bilans comptables. Les robots de l’entreprise américaine Narrative Sciences ont ainsi rédigé près de 400 000 résumés de matchs de baseball l’an dernier. Selon le directeur de cette société, Kristian Hammond, ils devraient être en mesure d’écrire plus de 90% des articles de presse d’ici 15 ans.
Mais Taylor Owen ne s’en inquiète pas. Pour le futur professeur de l’Université de la Colombie-Britannique, « ces algorithmes ont été capables d’écrire un article lors du dernier tremblement de terre survenu dans la nuit à Los Angeles en étant plus réactifs que n’importe qui sur le plan des faits. C’est juste un complément intéressant qui n’enlèvera jamais au journaliste sa capacité d’analyse. »
Réfléchir, décoder, confronter et écrire en utilisant les outils d’aujourd’hui, voilà ce qui a poussé Peter Klein à recruter ce spécialiste des médias numériques dans son équipe. « Aujourd’hui il y a énormément d’occasions et de façons différentes d’exercer ce métier. Il y a aussi beaucoup de risques, il ne faut pas s’en cacher, mais il faut se battre et y croire, car la vraie révolution c’est maintenant ! »