Quand l’un des plus grands écrivains contemporains décide, à plus de 80 ans, de se tourner vers l’écriture pour les jeunes, on ne peut qu’être curieux de découvrir le produit final. Dans Adam et Thomas, l’auteur israélien Aharon Appelfeld nous livre un récit longtemps mûri racontant la survie en forêt de deux enfants juifs fuyant la persécution nazie, qui est directement inspiré de sa propre fuite, à 8 ans, d’un camp de concentration où il était enfermé avec son père. Entre récit initiatique et fable sur la guerre, ce roman semi-autobiographique magnifiquement illustré est unique en son genre et mérite d’être mis entre toutes les mains.
Quand la mère d’Adam s’échappe en secret du ghetto juif pour le conduire dans la forêt, elle promet de venir le chercher le soir même. « Aie confiance, tu connais la forêt et tout ce qu’elle contient », lui dit-elle. Une phrase qu’il se remémorera souvent dans les mois à venir, pour supporter la faim, le froid et la peur.
Car à la nuit tombée, sa mère n’est toujours pas revenue et Adam doit se débrouiller seul dans ces bois. Il rencontrera bientôt Thomas, un garçon juif de sa classe que sa mère est également venue cacher là, à la personnalité si différente : alors qu’Adam est un garçon de la campagne, agile, et habile de ses mains, Thomas est un enfant de professeurs, réfléchi, et craintif. Mais ce sont ces différences qui vont leur permettre de survivre jour après jour, avec l’aide – providentielle ou divine ? – de Mina, leur « ange de la forêt » qui, discrètement, leur déposera de la nourriture au pied d’un arbre. S’appuyant l’un sur l’autre, ils vont ensemble tenter de surmonter leur peur et de comprendre la guerre et ce monde où l’avenir est incertain.
Adam et Thomas n’est pas une histoire de guerre classique, ce qui peut être assez déstabilisant, au premier abord, pour le lecteur qui s’attendrait à un récit sur l’occupation nazie. Car la guerre, justement, n’est présente qu’en filigrane, tenue à distance par la forêt, cocon protecteur préservant de l’horreur. Dans ce roman, c’est la relation d’amitié qui se noue entre les deux enfants ainsi que leurs impressions et leur apprentissage de la vie en forêt que l’auteur a voulu mettre en valeur. A travers les voix des deux enfants, il nous raconte l’errance, la peur, la faim, la solitude, mais surtout le courage et cette confiance inébranlable que les enfants placent en la nature ainsi que dans la promesse de leurs mères.
C’est pourquoi Appelfeld a choisi la forme du conte. Le début, qui rappelle Le Petit Poucet, annonce d’ailleurs d’emblée la couleur : « se perdre » dans la forêt signifie ici échapper à la réalité meurtrière qui règne au-dehors. La fin heureuse, qui, certes, trahit la réalité historique, s’inscrit également dans cette volonté de l’auteur de repousser la tristesse et d’apporter réconfort et espoir au jeune lecteur. Les très belles illustrations de Philippe Dumas vont également de ce sens en égayant l’atmosphère souvent tendue du récit par la douceur et la fraîcheur des couleurs et la légèreté du trait. Seul bémol, si Adam et Thomas se veut un récit d’enfance raconté par les deux enfants, le vocabulaire est parfois un peu trop riche, ce qui crée une coupure avec le ton.
Mais sous ces thèmes de l’amitié, du courage et de la résilience, qui toucheront les plus jeunes, se trouvent d’autres beaucoup plus complexes et philosophiques, qui résonneront chez le lecteur mûr :
religion, guerre, identité juive, l’homme et ses motivations opposé à l’animal… autant de questionnements essentiels et métaphysiques nés de l’opposition de caractères des deux enfants, reflets de deux facettes de la personnalité de l’écrivain. Des questions complexes qui restent souvent sans réponse, mais qui ouvrent les portes d’une réflexion chez le lecteur. En ce sens, Adam et Thomas n’est pas juste un gentil conte pour enfants pleins d’illusions, c’est aussi une fable philosophique porteuse de valeurs universelles et une belle leçon de vie à mettre entre toutes les mains.