Vingt-huit artistes autochtones de 15 à 25 ans du Canada, des États-Unis, de la Norvège et de la Nouvelle-Zélande exposent jusqu’au 4 janvier prochain à la Galerie O’Brian du Musée d’anthropologie de UBC. Intitulée Claiming Space : Voices of Urban Aboriginal Youth, l’exposition décrypte en cinq facettes les points saillants de l’histoire des autochtones. Elle jette un coup de projecteur sur la motivation de ces jeunes artistes à affirmer leurs identités, aussi bien qu’à refermer le fossé entre les espaces urbains et les territoires ancestraux.
En franchissant les portes du musée, on est frappé par la force que dégagent les objets exposés. Au fond de la salle, la musique brise le silence et transporte l’imagination, loin, très loin, dans les terres autochtones. C’est
presque un cri qui revendique la justice. Si les œuvres exposées survolent la richesse du territoire, elles révèlent aussi des visages ridés, usés par les oppressions politiques et sociales. Cody Lecoy, jeune artiste de 25 ans, dépeint son parcours et revient aux racines, aux origines. C’est la source où il a puisé ses inspirations. Ses toiles reflètent un soupçon d’activisme. Il milite pour la préservation de l’environnement. Les cours d’eau et les sables bitumineux sont des sujets qui le touchent au cœur. Ses œuvres sont des plaidoyers envers les promoteurs et les superpuissances du pétrole afin d’éviter une surexploitation des ressources de la nature. Cody lance : « L’exposition est un tremplin pour évoquer les histoires des autochtones et restituer leurs identités. L’art est mon point d’ancrage. La motivation de tout artiste est de faire entendre sa voix. Cela requiert de la force. La peinture renferme les messages que l’on veut transmettre, et chaque coup de pinceau renforce la communication. »
Retour dans le passé pour consolider le présent
En effet, dès son installation à Vancouver, Cody ressent une étrange sensation de conne-
xion avec Penticton, la terre de ses ancêtres. Son cœur frémit. La ville regorge de lumières et pétille d’activités. Il se laisse envoler mentalement vers la terre ancestrale qui contient tant de valeurs spirituelles et d’enseignements. Il poursuit : « Mon travail n’est qu’un legs culturel. Il est bâti sur des assises de mon enfance et englobe la richesse du territoire urbain, propice à une évolution en profondeur ».
L’originalité des œuvres est flagrante. Les matières organiques sont privilégiées car elles sont en accord avec le concept. L’artiste recherche avant tout la voix de la sagesse et la transpose dans son œuvre selon sa propre perspective. L’approche holistique est favorisée. L’intuition se décline sous forme d’inspiration, d’autant plus que le périmètre urbain renferme une abondance de ressources et de richesses.
Le cèdre qui cède à tout usage…
Au beau milieu de la salle, le regard est accroché par une robe de laine tissée sur un métier artisanal, agrémentée de tresses d’écorce de cèdre. C’est la Coast Salish Potlatch Dress, œuvre de Danielle Morisette, qui porte le sceau de l’identité féminine. Raffinée et élégante, elle pourrait rivaliser avec les créations des plus grands couturiers. Danielle Morisette se confie : « Évoluer en milieu urbain est important. J’ai eu de la chance que mes œuvres soient primées et exposées à l’aéroport de Vancouver. J’ai été titulaire d’une bourse (2012), ce qui m’a valu de réaliser les œuvres qui figurent à l’exposition. »
Originaire de la tribu de la Réserve du Suquamish, dans l’état de Washington, elle fut introduite très tôt au tissage. La transition vers la Réserve du Squamish au Nord de Vancouver lui a été bénéfique.
Danielle Morisette revendique l’originalité. Elle puise son inspiration dans les costumes traditionnels. Au lieu d’en faire des répliques, elle reconstruit dans une dimension encore plus grande pour apposer son propre cachet. Elle lance : « En tant que tisserande, il est important de perpétuer la tradition des ancêtres. Le tissage Squamish a été ravivé depuis les quarante dernières années. Il est important de préserver cet héritage pour les prochaines générations. L’adaptabilité a été l’une des qualités inhérentes de mes ancêtres. Si les outils n’ont pas évolué, j’improvise sur le matériel. Je me plais à penser que c’est ce qu’auraient fait mes ancêtres en exploitant ce qui était à portée de la main. »
Pamela Brown, commissaire de l’exposition, affirme que 80 %
des artistes retenus lors du processus de sélection sont des femmes. Ainsi, la violence contre les femmes autochtones est montrée du doigt. Les pensionnats autochtones ont laissé des stigmates et occasionné des stéréotypes. Les poèmes de Deanna Bittern, poétesse talentueuse encore à la fleur de l’âge, en témoignent. Ils dénudent l’âme et donnent le sentiment d’avoir été écrits avec le sang des artères du cœur. « Ces jeunes n’ont pas d’agenda caché, confie Pamela Brown. S’ils ont une visée politique, c’est pour transgresser les injustices et que leur voix porte encore plus loin. L’art permet de se libérer ! », conclut-elle.