30 ans de Vancouver Fringe Festival… et des plumes d’oie !

Le Fringe, qui se tient du 4 au 14 septembre, souffle 30 bougies de « théâtre pour tous ». Lancé en 1984 sous le nom de First Vancouver Space Society, ce festival annuel n’a pas failli à sa vocation initiale : donner scène à toutes les formes d’expression théâtrale, des dramaturges en herbe aux créateurs de théâtre expérimental, souvent en manque d’espace.

À l’origine, le Fringe s’inspire d’un concept innovateur lancé à Edmonton : faciliter la présentation d’œuvres originales en apportant un soutien à la production et la promesse d’un public avide de découvertes scéniques. Selon Debby Reis, directrice des relations publiques du festival, le mot-clé est la découverte.
« Chaque spectateur accepte cette idée du risque, entrant dans chaque spectacle comme dans un lieu et un univers inconnus. C’est une sorte de voyage initiatique dont il ignore l’issue… »

Si le Fringe propose une programmation tous azimuts, qui peut aller du meilleur au pire (souffle-t-on parfois), des grands noms de la scène théâtrale de Vancouver y ont fait leurs premières armes. Certains y reviennent d’ailleurs cette année, comme T.J. Bawe, dramaturge et raconteur d’histoires, dont le scénario The F World a récemment été acquis pour un long-métrage, Jay Brazeau de la Angry Actors Coop ou encore Suzanne Mc Fallen, actrice bien connue des amateurs du Arts Club Theatre de Granville Island. Preuve de réussite : le public du festival a doublé au cours des cinq dernières années, pour atteindre aujourd’hui quelque 32 000 spectacteurs !

Côté scène, cette année marque aussi le retour de représentations théâtrales qui mettent en parallèle des pièces écrites et établies avec des œuvres improvisées ou inédites. Le spectacle Goosefeather porte ainsi les couleurs de l’utopie théâtrale au cœur de ce festival marginal, mais de plus en plus populaire.

Il était une fois…
une histoire de famille

One woman show proposé par la conteuse vancouvéroise Naomi Steinberg, Goosefeather plonge le spectateur dans l’histoire familiale de son auteure, et revisite un volet de la grande histoire dont on ressent encore les remous quelque 70 ans plus tard.

Tout commence avec cette « montée » dans le sud de la France, il y a trois ans, pour rencontrer son grand-père, Aimé Pommier. Ce voyage est un retour aux sources. Il doit permettre d’éclaircir certains mystères enfouis de leur histoire commune. Issue d’une famille à la fois juive d’Europe de l’Est et française, Naomi a des questions en tête : pourquoi Aimé a-t-il sauvé sa grand-mère juive de la déportation pendant l’occupation nazie ? Était-ce une histoire d’amour ou un acte de raison ? Et puis, paradoxalement, comment l’eau courante est-elle finalement parvenue au petit village de Roussillon, et quelle fut la part des plumes d’oie ?

Patriache taciturne, symbole de connaissance et de stabilité, Aimé ne répondra jamais tout à fait à ces questions. « C’est elle qui m’a séduit », dira-t-il simplement. Mais sa passion pour les règles rigides des équations métriques et pour la cartographie serviront d’inspiration à Naomi pour Goosefeather, qui en fera une métaphore liée aux histoires de commères du village.

À la mesure de l’espace et du temps

Comment quantifier le temps et l’espace, en faire une « mesure »
de ce que nous sommes et de ce que nous « valons » ? C’est quoi, être à la hauteur de soi, et comment évaluer tout ça en utilisant un système métrique ?
Pour Naomi Steinberg, il s’agit surtout d’une recherche de vérité qui nous est commune à tous. Portant pour tout costume un corset créé à partir de cravates héritées de son grand-père, elle livre dans son spectacle une espèce de carte de route qui invite à la curiosité et au voyage, telle un géographe se servant d’outils scientifiques pour explorer une condition humaine nébuleuse et complexe.

Nous vivons semble-t-il à l’âge de l’Anthropocène, où pour la première fois l’homme affecte de façon irréversible la topographie de notre planète. Le développement urbain et le pouvoir économique sont devenus le graal, avec pour effet ricochet la perte des valeurs ancestrales et de la tradition orale.

Naomi nous invite à revenir sur nos pas : « Le conte traditionnel est un genre plutôt méconnu de nos jours. Avec Goosefeather, j’ai l’occasion d’explorer et d’approfondir, via le verbe et le mouvement inspiré du langage gestuel du clown, sans les artifices, ce qui est d’après moi la magie du conte. La parole est un outil de communication avec mon auditoire. Au moyen de détails souvent sensuels, je fais appel à l’être humain dans sa totalité, pour réveiller l’imagination et explorer un domaine où les émotions du spectateur laissent libre cours à l’instinct primaire, dans un contexte à la fois familier et inquiétant. » Cette incitation à la provocation et à l’action de pensée politique et artistique n’est pourtant guère morose, car le texte allie allégrement la légèreté et la fantaisie.

Somme toute, Goosefeather est un tour de force de 60 minutes un brin saugrenu, livré par une conteuse d’aujourd’hui, qui vaut certainement bien le détour !
« Rien dans les poches, tout dans la tête », disait si bien Léo Ferré… ou était-ce Arthur Rimbaud ?

À surveiller également, d’après Debby Reis, dans ce festival fourmillant de découvertes : dans la section « Ombres chinoises », Aiden Flynn lost his brother and found another, mais aussi Caws and effect, qui touche divers sujets allant du vêtement à la survie, et Paleoncology, sur le thème du deuil, avec ses marionnettes de dinosaures.

www.vancouverfringe.com

Goosefeather, de Naomi Steinberg
10 représentations (voir site pour dates)
The Toast Collective
648, rue Kingsway (entre Fraser et la 16e)