L’art du cuisinier est éphémère : l’artiste y présente son spectacle devant des spectateurs qui le savourent de tous leurs sens. Hamid Salimian, chef passionné et reconnu, nous parle de sa passion et nous emmène avec lui en voyage vers un monde de couleurs et d’harmonies. Il nous ouvre ainsi les portes de son imagination artistique.
La Source : Vous êtes né en 1976 à Téhéran et êtes arrivé au Canada à l’âge de 13 ans. Aujourd’hui vous apportez beaucoup à la gastronomie vancouvéroise et êtes même capitaine de l’équipe culinaire du Canada. Quel est votre premier souvenir de cuisine ?
Hamid Salimian : Cela s’est passé au nord de l’Iran, au bord de la mer Caspienne. Nous avions décidé, mon frère et moi, de faire un abgouchte, ce plat traditionnel iranien à base de viande de veau. Nous sommes sortis acheter les ingrédients nécessaires : la viande, les tomates, le curcuma… Résultat : c’est le plus mauvais plat que j’aie mangé dans ma vie ! Ce souvenir est tellement présent dans mon esprit qu’aujourd’hui, j’enseigne à tous mes élèves de faire cuire le curcuma avant de l’utiliser dans leurs plats.
LS : Votre parcours est passionnant, témoin de la passion qui vous anime. D’où vient-elle ?
HS : Je ne peux pas vous dire exactement. Ma mère est une chef talentueuse, une véritable artiste. Mon grand-père paternel avait plusieurs restaurants en Iran. Certainement, l’origine de cette passion doit se retrouver quelque part dans mon enfance… Mais j’ai été formé ici à Vancouver. Je suis un chef de Vancouver.
LS : Antonin Carême, grand gastronome à l’époque de la Révolution française, estimait que la cuisine, loin d’être un simple savoir-faire, est une discipline où s’affirme le talent créateur. Qu’en pensez vous ?
HS : Du bien ! La cuisine est un équilibre entre la création, la technique et l’esthétique. Nous sentons, nous regardons et enfin nous savourons ce que nous mangeons. En regardant un beau plat, notre première réaction est de se dire : j’aime ce plat, il me paraît savoureux. Une fois dans la bouche on se dit : qu’est ce qu’il est bon, je sens sa texture et je respire son parfum. C’est pourquoi pour faire un plat réussi, vous devez prendre en considération toutes les sensations qu’il provoque. Il n’est pas permis de négliger la présentation de vos menus, la matière, la couleur et la forme de vos assiettes, de vos verres, de vos ustensiles.
LS : Comment définissez-vous votre cuisine ?
HS : Vous me posez une grande question. Ma vraie passion est de faire de la cuisine iranienne avec une influence française. J’ai réalisé près de 40 plats typiquement iraniens avec les méthodes et les techniques utilisées dans la gastronomie française. Je veux raconter avec chacun de mes plats une histoire et un passé. Parfois, je raconte cette histoire avec plus d’émotion… En cuisinant, je veux créer une mémoire et une expérience, je veux éduquer les gens – qu’ils se souviennent de mes plats. Mon travail s’immortalise ainsi.
LS : Quel rôle vous attribuez-vous dans l’évolution de la gastronomie à Vancouver, et en particulier de la cuisine persane ?
HS : Je suis consultant gastronomique pour une chaîne internationale : Earls. Je travaille sur les concepts de développement culinaire et j’ai aussi des clients dans l’industrie alimentaire. J’ai également lancé avec ma compagne notre ligne culinaire sans gluten : Nextjen. Mais sincèrement, avant de finir mon voyage dans ce monde, j’aimerais ouvrir mon propre restaurant ici, à Vancouver, avec un maximum de 40 couverts, où je pourrai cuisiner et présenter la gastronomie persane. Mon but est de montrer au monde cette cuisine sous un autre angle.
LS : Quelle est votre attitude vis-à-vis de la tradition culinaire iranienne ?
HS : Je prends des plats traditionnels et je les déstructure afin de leur donner de l’intensité. Prenons l’exemple de ab dough khiar, un plat estival très simple à réaliser. Qu’est ce qu’il y a dedans ? De l’eau, du yaourt, de la menthe fraîche, des raisins secs, du concombre, des noix et du pain sec. En déstructurant le plat, puis en appliquant quelques techniques et en concentrant les goûts, je le transforme en mets. Un mets dans lequel vous trouvez de la fraîcheur et du croquant. En bouche, vous ressentez une explosion de différents goûts harmonieux… Oh mon Dieu, que c’est excitant !
LS : J’ai envie de dire qu’ici au Canada, vous offrez une nouvelle identité à la gastronomie iranienne.
HS : Si vous le dites ! Mirzaghasemi, ce délicieux plat du nord de l’Iran est un autre exemple, comme kashk-e-bademjan, que je transforme visuellement en macaron salé. Je pense que mes plats sont fidèles à ce qu’ils sont véritablement dans la cuisine iranienne. Je leur donne de l’intensité, à l’instar des sauces françaises. J’insiste sur les différentes saveurs présentes dans chaque plat et les concentre. Ce que je fais n’a rien de compliqué. Toutefois, cela nécessite une compréhension profonde de la cuisine persane. Vous devez connaître chaque élément et son rôle dans le plat. Vous devez savoir comment ajouter les ingrédients les uns aux autres. En fait, il y a une science derrière chacun des éléments utilisés dans un plat.
LS : La présence des herbes fraîches dans la cuisine iranienne impressionne. Vous utilisez ces herbes dans la quasi-totalité de vos créations. Quels sont les autres ingrédients propres à cette cuisine que vous affectionnez particulièrement ?
HS : Sans hésitation : le safran. Les autres ingrédients sont l’oignon, l’ail et le beurre.
LS : Votre chaghaléh badoom semble éveiller une certaine nostalgie… On dirait que votre enfance est présente à chaque instant lorsque vous cuisinez ?
HS : Le souvenir de la cuisine de ma mère est très présent dans mon esprit. Le goût des grenades d’Iran telles qu’on les cueillait – parfois même en nous blessant – me manque terriblement… Ce goût n’existe nulle part ailleurs. Ma salade de chaghaléh badoom est un clin d’œil aux printemps de mon enfance, quand on achetait des amandes vertes fraîches au coin de la rue, qu’on les salait et qu’on les mangeait avec tout notre appétit enfantin. Je veux partager ce délicieux souvenir. Oui, je suis nostalgique.
Où vous procurez-vous à Vancouver les ingrédients iraniens nécessaires à la réalisation de vos plats ? Au Aria Market, dans le West End, ou encore chez Persia Foods, à North Vancouver.
Sur la route des épiceries iraniennes
Alors qu’on parle beaucoup du marché chinois, les épiceries iraniennes ne manquent pas à Vancouver, qui témoignent du bagage gastronomique des Iraniens installés ici.
Pour Ata, le gérant du European Deli, sur Davie, les Ira-niens constituent toutefois une minorité de clients. Dans son épicerie, vous pouvez trouver tout ce qui est utilisé dans la cuisine iranienne à l’exception des herbes fraîches et des légumes. La plupart du temps, les gens arrivent avec différentes recettes persanes dans les mains et se procurent tout ce dont ils ont besoin. Certains d’entre eux y viennent par curiosité. Ils y découvrent des produits iraniens et deviennent des clients de tous les jours. Vous pouvez aussi trouver dans ce petit magasin toutes sortes de pains frais iraniens, préparés et cuits le jour même à North Vancouver.
Si vous cherchez ces fameuses herbes fraîches, il faut aller un peu plus loin, toujours dans le West End, au Aria Market. Cette enseigne est très représentative de n’importe quelle épicerie en Iran. Vous pouvez même y trouver les cuiseurs de riz, fabriqués en Iran et utilisés dans presque tous les foyers iraniens. La boutique propose aussi du mast-o-nousir, ce yaourt idéal en apéritif, ou encore de l’akbar machti, glace safranée et crémeuse. Vous y trouverez en outre du dough, une boisson rafraîchissante à base de yaourt, et des zeitoun parvardeh, olives marinées à l’iranienne.
Enfin, vous pouvez miser sur Persia Foods, un groupe d’épiceries persanes qui ne cesse de grandir. Les magasins de Persia Foods proposent de tout. Leurs fruits secs partent comme des petits pains chauds. Les pistaches sont les moins chères de tout Vancouver. Mis à part le fait d’être une épicerie iranienne, c’est le prix très attrayant des fruits et légumes de Persia Foods qui attire une bonne partie de la clientèle non iranienne.