Le musicien-producteur vancouvérois Jesse Zubot et l’interprète originaire du Nunavut Tanya Tagaq sont un bel exemple de « mariage » artistique. Leur album Animism vient de rafler le prix Polaris. Avant leur concert à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) mi-octobre, l’instrumentiste s’est livré à quelques confidences pour La Source.
La Source : Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble, Tanya Tagaq et vous ?
Jesse Zubot : Je l’ai rencontrée au début des années 2000. À l’époque, je tournais avec mon groupe Zubot and Dawson (duo qu’il formait avec le guitariste Steve Dawson, ndlr). Nous nous croisions sur les mêmes festivals, donc forcément nous avons fait connaissance. La première fois que nous sommes montés sur scène, c’était en 2007, ici, à Vancouver. L’expérience lui a plu. Elle m’a demandé d’enregistrer des morceaux de son album Anuraaqtuq. Je la considère comme ma sœur.
LS : Les liens qui vous unissent vont au-delà de la simple relation professionnelle…
JZ : Tanya et moi avons la même manière de voir les choses. Nous voulons tous les deux transcender la réalité ; nous recherchons un sens dans la musique. Les thématiques spirituelles nous attirent. Nous nous laissons porter. Ça se ressent dans notre démarche. Que ce soit sur la scène ou en studio, nous improvisons beaucoup. Nous ne nous façonnons pas une image d’artistes torturés ou hautains. Nous nous montrons tels que nous sommes.
LS : Quelle a été votre approche, à tous les deux, autour d’Animism ?
JZ : Le travail sur cet album a été foncièrement différent de tout ce que nous avions fait auparavant. Nous ne nous sommes pas contentés d’enregistrer des chansons, nous avons développé de nouveaux sons par lesquels nous voulions capter l’essence de la vie. Ce disque se situe à mille lieues de ce qu’on peut entendre par ailleurs. Nous nous sommes amusés à déconstruire ce qui est produit habituellement, un peu comme le font Radiohead et Björk.
LS : Comment s’est déroulée la phase d’enregistrement ?
JZ : Ça n’a pas toujours été facile. Il y a eu des hauts et des bas. Concevoir Animism nous a pris un an et demi. Par moments, nous étions obligés de nous arrêter. Quand nous n’avions plus assez d’argent pour continuer à travailler uniquement dessus, nous repartions renflouer les caisses. Le fait de ne pas vivre dans le même coin (il vit à Vancouver, elle est installée à Brandon, au Manitoba, ndlr) a aussi compliqué la tâche. Parfois, on se retrouvait à Winnipeg. C’est là-bas qu’on a fait les enregistrements vocaux et la sélection des titres.
LS : Étiez-vous convaincu que ça allait marcher ?
JZ : Quand nous étions en studio, je ne pensais pas au succès que l’album pourrait avoir, mais j’avais le sentiment que nous étions en train de créer quelque chose de spécial. Nous voulions lui donner une identité propre. Je pense que nous avons réussi. Je suis satisfait du résultat, même si je lui trouve toujours quelques défauts quand je le réécoute. Dans les arrangements notamment. Mais, c’est mieux ainsi. Il est imparfait, comme la vie.
LS : Vous venez de recevoir le prix Polaris (lire ci-contre), est-ce que vous vous y attendiez ?
JZ : Non, avant d’assister à la cérémonie, j’étais stressé. L’industrie musicale peut être impitoyable. Finalement, tout s’est très bien passé, même au-delà de mes espérances. C’est devenu un moment unique. Se voir décerner le prix Polaris est une consécration. C’est la reconnaissance d’un travail, notre travail. Ça va changer beaucoup de choses. Ça va donner des ailes à ma carrière et aux ventes de l’album.
LS : À part Animism et le prix Polaris, quelle est votre actualité ? Avez-vous des projets en cours ou en perspective ?
JZ : J’ai réalisé la musique du film Hector and the Search for Happiness, actuellement en salles. Je me consacre à mon label (Drip Audio, fondé en 2005, ndlr). Je suis aussi en train de réaliser le prochain album du groupe Co-Pilots. Et puis, il va y avoir la tournée de Tanya cet automne. Je vais être pas mal occupé jusqu’à la fin de l’année. Je me considère chanceux de pouvoir vivre de ma musique. En même temps, j’ai travaillé dur pour ça. Je mérite ce qui m’arrive.
La chanteuse Tanya Tagaq et le musicien-producteur Jesse Zubot se souviendront longtemps du 21 septembre 2014. Ce jour-là, à Toronto, le fruit de leur dernière collaboration, l’album Animismsorti fin mai, a été auréolé du prestigieux prix Polaris. Il est considéré comme étant la meilleure production canadienne de l’année, selon un jury composé de professionnels et de journalistes critiques, qui, à chaque édition, honore la créativité vocale et musicale.
Accompagnée par Jesse Zubot, Tanya Tagaq a reçu son prix sous un tonnerre d’applaudissements. « Nous avons toujours fait les choses à notre façon, donc le fait d’être reconnue ainsi et de recevoir le soutien d’autant de personnes me laisse croire que le monde est tolérable », a-t-elle commenté, avant d’ajouter : « Il y a trop de mal dans ce monde et au sein des cultures autochtones à cause du colonialisme ». D’après elle, le pays a « désespérément besoin de panser ses plaies (…) Le simple fait que des gens comprennent d’où nous venons me donne l’espoir que nous pouvons avancer et mettre en lumière la vraie histoire du Canada ».
Alors que Jesse Zubot travaille en ce moment dans le studio qu’il s’est aménagé chez lui à Vancouver, Tanya Tagaq est auprès des siens à Brandon, dans le Manitoba. Les 16 et 17 octobre, ils seront sur la scène du Chan Centre à UBC*, aux côtés de l’environnementaliste et activiste Severn Cullis-Suzuki. Deux soirées qui s’annoncent engagées. « L’art et la culture sont le reflet de la vie. C’est normal qu’ils soient reliés aux thèmes politiques et aux problématiques économiques », déclare Jesse Zubot.
Renseignements et réservations au 604-822-9197
ou sur le www.chancentre.com