Deux professeures universitaires (l’une en poste à Montréal, l’autre à New York) viennent de lancer une nouvelle revue consacrée à la recherche sur la culture visuelle asiatique dans les Amériques, Asian Diasporic Visual Cultures and the Americas. Un sujet qu’elles estiment bouillonnant et pas assez mis en avant. Tout le monde peut y contribuer. Explications avec la responsable montréalaise.
La Source : Comment vous est venue l’idée de cette nouvelle revue ?
Alice Ming Wai Jim : Ma co-rédactrice en chef, Alexandra Chang, et moi-même étions à une bourse aux livres organisée à l’occasion de la conférence annuelle de l’association Art college (CAA) à New York en 2012. Nous avons remarqué qu’il n’y avait pas de revue universitaire consacrée à l’art asiatique américain, la spécialité d’Alexandra, ni à l’art asiatique canadien, la mienne. Ces domaines ont pourtant connu un essor fascinant au cours des dix dernières années. Nous avons constaté que la culture visuelle propre aux diasporas asiatiques dans l’ensemble des Amériques n’était pas suffisamment mise en avant. Nous avons ébauché notre projet et adressé une proposition aux publications Brill, un important éditeur de livres scolaires. En voici le résultat.
L.S. : Pourquoi les diasporas asiatiques sur le continent américain ne sont-elles pas davantage mises en lumière ?
A.M.W.J. : Peu d’attention leur a été accordée en raison de l’héritage colonial du racisme anti-asiatique qui a jalonné l’histoire des Amériques. Il faut ainsi tenir compte des politiques d’immigration racistes dirigées contre les Asiatiques, de l’internement des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, de l’incident du Komagata Maru en 1914, etc. Même si la présence asiatique dans les Amériques date du XVIe siècle avec la route commerciale transpacifique Manille-Acapulco, l’étude des connexions et des échanges entre les communautés de la diaspora asiatique d’une part et de l’autre le Canada, les États-Unis, l’Amérique latine, le Mexique, les îles du Pacifique et les Caraïbes n’est que récente.
L.S. : Comment définiriez-vous votre revue ?
A.M.W.J. : Tout d’abord, il faut souligner qu’elle est unique en son genre. Notre revue se veut un examen critique de la production culturelle visuelle créée par et pour les communautés de la diaspora asiatique dans les Amériques. Elle fournit un forum intellectuel pour les chercheurs et les créateurs dans ces domaines traditionnellement sous-représentés. Il y aura deux numéros par année, mais quiconque est invité à nous soumettre des articles ou des commentaires d’expositions, de spectacles, de films ou de livres quand bon lui semble. Nous reproduirons également des œuvres d’artistes dans des pages en couleurs. Nous les encourageons donc à nous contacter. Nous nous engageons enfin à inclure dans chaque numéro un article écrit en français ou en espagnol. Des propositions de sujets dans ces langues sont les bienvenues. Le premier numéro est déjà disponible. Et ce, gratuitement, en se connectant sur le www.brill.com/products/journal/asian-diasporic-visual-cultures-and-americas.
L.S. : Considérez-vous que l’art doit être expliqué, analysé, décortiqué ? Il ne se suffit pas à lui-même ?
A.M.W.J. : Je rappelle que notre revue n’est pas seulement consacrée à l’art, mais à la culture visuelle dans sa globalité. Pour répondre à votre question, je pense que l’analyse critique des productions culturelles nous aide à comprendre comment notre perception du monde est façonnée par des significations qui s’intègrent dans des contextes politiques, sociologiques et idéologiques spécifiques.
La revue Asian Diasporic Visual Cultures and the Americas sera officiellement présentée le 21 mai à Vancouver en présence de l’activiste et poète Roy Miki.
Alice Ming Wai Jim est professeure à l’université Concordia, à Montréal. Elle possède, entre autres, un doctorat en histoire de l’art, obtenu avec distinction à l’université McGill en 2004. Sa thèse portait alors sur les métaphores urbaines dans les médias de Hong Kong en lien avec les questions de l’identité, de l’histoire et la culture de l’espace urbain. Tout un programme !
De 2003 à 2006, elle a été conservatrice au Centre A (le Vancouver International Centre for Contemporary Asian Art), rue Georgia Est. La professeure Jim a donné de nombreuses conférences au Canada et à l’étranger. Ses écrits ont été publiés dans diverses revues.
Ses recherches actuelles portent sur l’esthétique de la mobilité en relation avec les expositions internationales et le développement de l’art asiatique canadien depuis les émeutes de Vancouver de 1907. Le 7 septembre, des membres de l’Asian Exclusion League (formée quelques semaines plus tôt) ont assiégé et vandalisé Chinatown en scandant des slogans racistes. Leur but à l’époque était d’empêcher l’immigration de personnes d’origine asiatique.