Les attaques du 13 novembre sur Paris, perpétrées par des terroristes dont les liens avec des membres d’ISIS en Syrie sont maintenant clairement établis, ont eu vite fait de rallumer les inquiétudes de certains critiques de la politique d’accueil de 25 000 réfugiés syriens devant arriver au Canada avant la fin de l’année, pour des prétendues raisons de sécurité.
Pourtant la seule vraie question qui se pose, ou qui devrait se poser, est de tenter de comprendre comment ces réfugiés, qui après avoir passé des mois dans des camps, où leur identité a déjà été contrôlée, vont s’intégrer à la société vancouvéroise. Déjà on entend diverses hypothèses sur les lieux et les besoins. On parle généralement de bases militaires ou d’autres installations temporaires, pour les accueillir et les loger, ce qui sous-entend généralement que ces endroits sont à l’écart des centres. Comme première destination, c’est peut être une bonne solution, mais qui ne peut être que temporaire. Le problème du logement à Vancouver est bien documenté et présentera à ces nouveaux arrivants un défi important. Mais n’oublions pas d’où ils arrivent et rappelons-nous aussi ce qu’ils ont dû affronter avant d’arriver ici.
L’intégration des nouveaux arrivants, qu’ils soient immigrants ou réfugiés, est abordée par Doug Saunders, chroniqueur international au Globe and Mail, dans son dernier livre qui a pour titre Arrival City. Arrival doit être pris dans les deux sens du mot; l’arrivée physique et l’arrivée au but social et économique. Ce n’est sans doute pas un hasard si Doug Saunders était invité à la mi-septembre pour donner une conférence sur le sujet de son livre au centre communautaire ismaélien de Burnaby. On était en pleine campagne électorale fédérale et la question de l’accueil des réfugiés syriens en sol canadien faisait la manchette. Rappelons que la majorité de cette communauté qui compte maintenant plus de 11 000 membres dans la grande région de Vancouver est venue s‘installer ici quand Idi Amin Dada l’a chassée de l’Ouganda en 1971. En fait, ils étaient des réfugiés, comme l’étaient aussi les milliers de boat people venus du Vietnam et du Cambodge au Canada à la fin des années 70. Voilà donc un modèle qui s’appliquera admirablement à la nouvelle réalité des réfugiés syriens à Vancouver.
L’essentiel du propos de Doug Saunders est d’illustrer comment les communautés ethniques diverses se regroupent en recréant autour d’elles les conditions qui vont leur permettre de construire leur nouvelle réalité, tant sur les plans social, communautaire, culturel et économique. Il illustre aussi comment certains éléments sont essentiels à ces réussites et comment ils s’agencent ensemble.
La prémisse est simple : l’isolement est l’ennemi juré du succès de l’intégration des nouveaux arrivants. Il leur faut un environnement dans lequel ils peuvent s’investir, dans tous les sens du mot, pour y créer des lieux de rencontre, de commerce et de partage, d’échanges culturels et gastronomiques. Quand ils s’installent dans un quartier, il est important que l’accès y soit facile et que la mobilité y soit encouragée. Ce que Doug Saunders a constaté et partagé lors de sa conférence c’est que l’isolement contribue à l’exclusion et mène directement aux troubles sociaux. Il en veut pour preuve les manifestations meurtrières des cités de France il y a quelques années. Ces gens sont en général isolés des vrais centres-villes, concentrés dans de grands ensembles immobiliers difficilement accessibles par les transports en commun.
Les exemples de réussite s’appuient sur la capacité des nouveaux d’investir dans l’immobilier, de restaurer les quartiers qui avant leur arrivée étaient à l’abandon, et de créer ainsi de la richesse et de la vitalité qui profiteront ensuite à ceux qui les suivront, alors que ces anciens nouveaux arrivants vont s’installer ailleurs. Mais encore faut-il leur donner la chance de venir s’installer ici, sans équivoque dans notre message de bienvenue. Car récemment, c’est un peu comme si après avoir fait des gorges chaudes de notre hospitalité retrouvée, nous faisions deux pas en arrière. Vous avez sans doute aussi entendu ces commentaires de réserve : « Oui, nous voulons bien accueillir les réfugiés de la Syrie, mais il faut prendre le temps de bien faire les choses, d’assurer qu’ils ne posent pas de menace à notre sécurité. Et puis peut être vaudrait-il mieux qu’ils aillent s’installer dans le nord de la province. Après tout il y a plus de place et le coût de l’habitation y est plus abordable qu’ici à Vancouver. »
Je pense que l’expression populaire qui s’applique ici est « Oui, je veux bien et je suis pour. Mais pas dans ma cour ! »