« Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. » Ainsi va le poème de Paul Fort, écrit en 1917. Mais comment faire lorsque le pré coûte un bras ?
Alors que s’amorce l’année internationale des légumineuses, la municipalité de Surrey, en partenariat avec le réseau pancanadien de jeunes agriculteurs biologiques Young Agrarians (qui dépend de la Farm Folk City Folk Society), entend semer les graines du succès grâce à un projet pilote nommé Virtual Incubator Farm Project : une plateforme numérique à cheval entre
Airbnb et TripAdvisor, destinée aux jeunes agriculteurs. D’ici trois à six mois, la ville qui pousse plus vite que Vancouver devrait en effet proposer aux aspirants paysans un service de location en ligne de parcelles agricoles. Une première à l’Ouest.
En jachère, faute de moyens
Le tiers de la superficie de la ville de Surrey est constitué de terres agricoles protégées : un vaste domaine sur le papier, mais sur le terrain, alors que la population d’agriculteurs « de plain-pied » prend de l’âge, la relève peine à reprendre la main et de nombreux champs sont mis à la retraite forcée. Les jeunes Britanno-Colombiens tentés par l’agriculture ne sont pourtant pas des oiseaux rares, comme l’atteste entre autres le dynamisme de l’organisme Young Agrarians, qui représente environ 500 jeunes agriculteurs dans la province et qui compte plus de 6 500 adeptes sur Facebook. Alors, sur quels obstacles butent les vocations ?
« Le premier obstacle pour les jeunes agriculteurs partout au Canada est le coût des terres, et c’est particulièrement vrai dans le sud de la Colombie-Britannique, où l’on trouve les parcelles les plus chères au pays », confie Sara Dent, coordinatrice du réseau dans la province. Bien souvent, les aspirants agriculteurs n’ont tout simplement pas les moyens de se payer un lopin. Et lorsqu’ils sont en mesure de mettre la main au porte-monnaie, ils doivent passer par monts et par vaux pour dénicher des terrains.
Afin de pallier la situation et d’éviter ce gâchis, Young Agrarians travaille à l’amélioration de sa carte interactive des ressources, baptisée UMAP, dans le but de la rendre plus conviviale et plus riche en renseignements. Sara Dent souligne en outre que l’organisme vient d’obtenir une aide financière pour lancer dans la vallée du Fraser une plateforme semblable à la Banque de terres agricoles qui existe au Québec. « Dans les faits, nous aurons une personne qui servira d’entremetteur. Celle-ci sera chargée de vérifier que les postulants sont bien qualifiés pour démarrer une exploitation, de s’assurer que les terres visées correspondent aux besoins et de voir quels arrangements sont possibles avec les propriétaires ou les exploitants actuels », précise-t-elle.
Sara Dent travaille notamment avec Stephen Wu, de la ville de Surrey, responsable du programme Virtual Incubator Farm Project. « La ville lancera un portail d’information, sorte de boîte à outils pour démarrer une ferme, et notre carte interactive y sera intégrée », confie-t-elle. Le mandat est clair : permettre aux intéressés de situer les parcelles disponibles, d’obtenir des renseignements sur le type de sol, puis de louer ces terres ou d’obtenir des aides financières. Ce que Surrey espère récolter en retour ? Une population d’agriculteurs rajeunie et la fierté de pouvoir servir 80 % d’aliments produits localement dans ses assiettes.
Dans le sillon de l’Ontario et du Québec
Avant Surrey, les frères Andrew et Kevin Veurink ont montré la voie en Ontario : ayant eux-mêmes éprouvé des difficultés à mettre la main sur une terre à louer, ils ont créé le site RentThisLand.com, qui peut se targuer d’avoir rapproché 2650 agriculteurs et 520 propriétaires.
Du côté du Québec, outre la Banque de terres, qui permet de jumeler des aspirants agriculteurs et des propriétaires fonciers, le Fonds d’investissement pour la relève agricole (FAR) a lancé à l’automne un projet de location-achat de terres qui vise à protéger les jeunes agriculteurs de l’inflation. Pour résumer, lorsqu’un jeune Québécois soumet un projet prometteur en agriculture, le FAR, doté de 75 millions de dollars, peut acquérir une terre adaptée à ses visées et la lui louer à prix garanti pendant une période maximale de 15 ans. L’option de l’achat est également sur la table à un taux d’inflation maximal de 3,5 % par année (contre 8 % en moyenne ces 20 dernières années).
Il faut enfin souligner un projet plus lointain, porté en France par l’organisme Terre de liens. Celui-ci permet à des propriétaires fonciers de vendre leurs terres pour les placer dans le « domaine collectif ». Grâce à ce mécanisme, les citadins en mal de campagne peuvent se payer des parts d’une ferme. Une nouvelle utopie du Bonheur ?