À bien des égards, le Canada est un pays moderne. Mais quand il s’agit de trains de passagers, on est en plein dix-neuvième siècle. VIA Rail, la société de la couronne subventionnée par le gouvernement fédéral, fait de son mieux pour gérer ce secteur en déclin.
Sur la ligne Vancouver-Toronto, VIA Rail maintient un service touristique. Les wagons-lits, wagons-restaurants, bar, voitures panoramiques et wagons ordinaires, se traînent lentement à travers le pays, effectuant les 4 466 km en 3 jours et 4 nuits. L’horaire affiché n’est qu’une œuvre de fiction, sachant que les trains de marchandises ont toujours la priorité sur ces réseaux ferroviaires qui n’appartiennent pas à VIA Rail. Les passagers ne se plaignent pas du retard car ils sont là pour une croisière ferroviaire. Ce service transcanadien ne pourra jamais être autre chose qu’un service touristique destiné aux nostalgiques des transports d’autrefois. Sur de telles distances, le train ne pourra jamais rivaliser avec l’avion. Même en Europe, où les réseaux ferroviaires sont denses et modernes, quelqu’un qui se rend, par exemple, de Copenhague à Lisbonne ou de Bruxelles à Istanbul choisira plutôt l’avion. Pour être rentables, les TGV (trains à grande vitesse) doivent desservir des régions densément peuplées sur des distances de moins de 1 000 kilomètres.
Au Canada, ça veut dire le corridor Québec-Windsor, et plus particulièrement la ligne Montréal-Ottawa-Toronto. C’est d’ailleurs dans cette région que VIA Rail accueille 85 % de ses passagers. De temps à autre, une étude est commandée sur la viabilité d’un service ferroviaire moderne et rapide dans cette région et des politiciens, au Québec et en Ontario, laissent entendre qu’ils seraient en faveur d’un tel projet. Ils évitent de parler du financement car, s’il est bon de faire rêver les électeurs en période électorale, il ne faut surtout pas leur faire peur. Il est vrai que les chiffres ont de quoi faire rêver. Avec un TGV de dernière génération, pouvant rouler entre 260 et 350 km/h, Montréal ne serait plus qu’à 2 h 30 de Toronto et Ottawa ne serait qu’à 50 minutes du centre-ville de Montréal. Dans l’Ouest du pays, un TGV mettrait Edmonton à 1 h 10 de Calgary. Sur la côte ouest, il a été vaguement question d’un TGV qui relierait Vancouver à Seattle en moins de 2 heures. Mais il ne suffirait pas d’acheter des nouveaux trains. Il faudrait construire des nouvelles voies ferrées électrifiées avec de nombreux ponts routiers pour remplacer tous les passages à niveau. Il faudrait aussi moderniser certaines gares et en construire de nouvelles. On parle d’une vingtaine de milliards de dollars pour le réseau Montréal-Ottawa-Toronto et de 7 milliards pour la ligne Edmonton-Calgary.
Les arguments en faveur d’un tel projet de modernisation ferroviaire sont nombreux : création d’emplois, écologie, tourisme, etc. Les arguments en défaveur sont, de prime abord, de nature économique. Mais j’ai l’impression qu’ils sont surtout de nature idéologique. Toutes les études démontrent qu’un tel projet ne serait pas rentable pour le secteur privé, ce qui est un problème à l’ère de la pensée unique ultra libérale. L’idée même de service public est devenue suspecte. On peut déjà entendre les compagnies aériennes hurler à la concurrence déloyale et les journaux d’affaires décrier le gaspillage des impôts. De fait, au cours des quinze dernières années, des tenants de l’orthodoxie néolibérale ont suggéré que des trains privés pourraient rouler sur les rails d’un réseau ferroviaire public. Autrement dit, les contribuables financeraient les lourds travaux d’infrastructure et les trains privés (peut-être même subventionnés) ramasseraient les profits, comme cela se fait en Angleterre. Certains décrieraient là une arnaque intolérable, mais d’un autre côté, sous l’étiquette PPP (partenariat public privé) on en a avalé d’autres. Mais soyons optimistes ! Aux États-Unis, une société d’État, Amtrak, annonce la création d’une ligne de trains à grande vitesse de technologie française. La même chose au Canada ne devrait donc pas être impossible.